A Perfect Circle, c'est toute une histoire: un mélange détonnant d'influences très différentes. Voyez plutôt: Maynard James Keenan, le charismatique chanteur de Tool, qu'on ne présente même plus + Billy Howerdel, ancien comparse de ce même groupe en tant que producteur + James Iha, ex-bassiste des Smashing Pumpkins + Twiggy Ramirez (Jeordie White), ancien bassiste de sieur Marilyn Manson + enfin, et non des moindres, Josh Freese, guest sur pas mal de groupes, surtout batteur des Killing Joke! Bref, un mariage qui, de prime abord, paraît un peu... incompatible... de prime abord, seulement.
Car Thirteenth Step, leur second album après Mer De Noms, fait effectivement partie de ces disques volatils mais immortels. Volatil comme l'atmosphère à la fois éthérée et puissante qui se dégage de cet album, subtil mélange de la férocité des guitares et de la légèreté des instrumentations complémentaires; et immortel, parce que. Parce que la voix de Keenan. Parce que si la comparaison avec Tool est inévitable mais néanmoins essentielle pour comprendre Thirteenth Step, celui-ci est profond, bien écrit, fini, tout comme le sont les œuvres de Tool, tout en sachant s'en défaire habilement sans trop s'en éloigner: car après tout, Tool est une référence, mais A Perfect Circle joue dans un registre plus atmosphérique, plus concis, moins expérimental. La comparaison avec Tool s'arrête donc là. Parce que!
Pourquoi pester contre ce chef d'œuvre, alors qu'il est un magnifique plaidoyer pour artistes majeurs? Majeurs dans la maîtrise des instruments: les guitares, un peu plus effacées que sur Mer De Noms, sont employées à bien meilleur titre, grâce à des lignes de conduite plus claires, évolutives ("The Package", "A Stranger") et des riffs entêtants (ah, "Pet"!). La basse et la batterie ont une sonorité bien différente, ce qui renforce la puissance de l'ensemble dans les passages plus metal, tout en préservant la légèreté de l'exécution dans la globalité du disque. Ces musiciens-là sont des maîtres. Une remarque cependant: il est difficile d'apprécier Thirteenth Step en son tout, puisqu'il s'écoute comme une suite de morceaux, avec différents passages:
- des parties plus atmosphériques, telles que "Vanishing", "Crimes", ou "Lullaby" assez dispensables dans la mesure où elles assument seulement, et c'est la le problème, leur fonction introductive ou de transition.
- des parties plus metal à proprement dit, par ailleurs ce sont les meilleurs morceaux du disque, ce qui nous amène à un constat qui relativise la note finale: on ne sent A Perfect Circle réellement à l'aise que dans la réalisation de ces morceaux, plus vivants, plus démonstratifs. Des relents "toolesques", sans doute involontaires (ne cherchons pas la petite bête), se font sentir sur "The Outsider" et dans la construction de "The Package" (qui fait penser à "Ticks and Leeches") notamment...
- enfin, des parties plus lancinantes, typées comme des ballades, avec de temps en temps, un riff ravageur qui naît de la douceur -je pense à "The Noose" et à l'étrange "The Nurse Who Loved Me". Majeurs pour Keenan. A la fois mélancolique, fragile ("The Nurse Who Loved Me") et dénonciateur ("Pet", "The Outsider"). Bref, il ne cesse d'évoluer vers les hautes sphères. Majeurs dans la démarche artistique, qu'elle soit visuelle (une des plus belles pochettes qui soient) ou dans l'écriture des morceaux, tous potentiellement excellents.
Potentiellement, parce qu'en fin de compte, il est assez difficile d'analyser cet album d'un point de vue vraiment objectif. Thirteenth Step est un voyage introspectif, émotionnel et sensitif. On n'écoute pas l'album, on le ressent et de la trame de l'album naît un sentiment bien particulier, personnel. Il doit donc exister bien des approches différentes de cette œuvre... Bref, je n'arrive pas personnellement à détester cet album. Il distille puis installe jusqu'à la toute dernière note une ambiance particulière, qui sera, assurément, la marque de fabrique de ce groupe.
Le seul regret effectif que j'aurai à propos de Thirteenth Step est son manque de cohésion sur la durée, après plusieurs écoutes: une certaine philosophie d'appréciation est nécessaire pour faire de ce disque une unité aussi fondamentale que l'était Mer De Noms, du moins dans sa construction. Mais seulement dans sa construction, puisqu'un pas de géant a effectivement été franchi depuis Mer de Noms : celui-ci n'était pas foncièrement mauvais, peut-être un peu trop facile et convenu. Ces artistes ont maintenant compris l'essentiel de ce qui fait leur musique: l'intelligence et la subtilité, mais attention, de la subtilité très bien placée.