Énorme. Cultissime. Fantastique. Ébouriffant. Génial. Inouï. Je ne me suis pas encore décidé sur l'adjectif qui ouvrira cette chronique (ah ben si finalement, c'est « énorme »). Que faire face à ÇA?! Que faire face à cet album totalement fou, débridé, inimaginable? Parfois, le chroniqueur sait déjà que son travail ne pourra être que limité, car jamais il ne pourra rendre avec des mots le contenu d'un disque. Enfin, encore moins que d'habitude, quoi. Vivalavida est un des meilleurs albums de l'histoire, c'est aussi simple que ça. Et quand on sait qu'un « simple » duo français est derrière ce truc gigantesque ça multiplie l'effet (déjà énorme) par 132 000. Enfin, je vais faire mon possible...
Bon, commençons par le début: Carnival In Coal fait de l'extrême. Le premier titre, "In Darkness Dwells Vice", met un certain temps avant de dévoiler la face déjantée du duo, car le début fait bien black symphonique indus, un peu farfelu certes mais pas encore totalement barré. Le chant est doublé death/black pour un résultat très agressif, la boîte à rythme est immédiatement reconnaissable en tant que telle mais diablement bien programmée (dans les blast-beats comme les breaks). Seuls certaines sonorités de claviers font un peu cheap, avec des petits bruitages rigolos en arrière-fond... Mais on sent bien que c'est fait exprès. Et après trois minutes trente d'une chanson qui pourrait être du black tendance prog (breaks heavy, chant clair, etc...) le titre explose. Car c'est un break de... pur funk qui débarque! Pas du funk-métal fusion, hein, du funk funk. Le chant clair est irrésistible de parodie, et le passage est tout simplement terriblement bon. S'ensuit un autre break hallucinant où le caméléon vocal qu'est Arno part en flow dub et sonne comme le premier chanteur d'Asian Dub Foundation, avant que le titre ne reparte en black. Les enchaînements sont totalement cinglés, mais se posent miraculeusement. Premier titre d'un album complètement hors-normes, "In Darkness Dwells Vice" pose les bases d'un style unique.
Car il est temps que je donne le truc: Carnival In Coal fait de l'extrême « plus ». Comprendre « plus disco, funk, dub, reggae, dance, tout ce qui passe ». Hé oui, c'est possible! "Entrez Le Carnaval" enchaîne ainsi un beat dance à des riffs black ou deathcore, un chant incroyablement caverneux à de la voix de tête volontairement stupide. Les claviers viennent parfois poser des nappes à la Fear Factory, et parfois sonnent comme une fanfare de junkies jouant un thème de fête municipale. Et seigneur, que tout ça est extrêmement bon! Car la voilà la qualité qui place Carnival In Coal au-dessus de tout autre groupe de grind parodique ou de déjantés notoires: non seulement ils peuvent enchaîner n'importe quel style à n'importe quel autre avec un brio insolent mais en plus chaque plan est individuellement génial. Prenons l'intro de "Got Raped" qui tape dans le Faith No More période Angel Dust, elle est jouissive de groove. Le plan qui suit tape dans le death atmosphérique, puis ce pont en chœur clair sur fond de mélodie Richard Clayderman, puis ce break bontempi sur lequel viennent se greffer des rythmiques hardcore... Tout est absolument jouissif, chaque pièce du puzzle est magnifique en elle-même, et le résultat confine au génie. Car Carnival In Coal ne se contente pas de faire du collage, le groupe arrive réellement à tout mélanger, et croyez-moi ou pas mais le death/black/jazz/disco, c'est tout simplement énorme. Ça tue.
Niveau chant, Arno a un accent absolument parfait. Le bougre se permet même de se la jouer minorité ethnique: il prend à plusieurs reprises un accent indo/pakistanais pour un flow dub incroyable de maîtrise ou sur le speech de "Narrow-Minded Sexist Pig". L'homme a vraiment une voix polymorphe (Patton n'est pas loin), et ses registres extrêmes sont vraiment super travaillés, dans le death grave comme dans le black écorché suraigu. La prod, assurée par Axel le multi-instrumentiste-programmeur est tout bonnement géniale, car les guitares sont énormes mais se mêlent aux claviers sans aucun heurt. Voilà un album qui sonne aussi bien dans les parties death que dans les parties musique de jeux vidéo ou musique hawaïenne (oui!). On peut dire que le mix est parfait, la gestion du clavier étant exemplaire. Les changements de registres n'entament en rien une impression de cohérence tout à fait incroyable, car alors que la musique part perpétuellement en vrille tout se tient, tout le temps! A chaque écoute ça me confond.
Les paroles sont évidemment hilarantes, la palme étant décernée pour ma part ex-aequo aux diverses narrations présentes sur ce disque. On en compte deux, l'énormissime "A Swedish Winter's Tale" qui est la parodie de Rhapsody la plus réussie que j'aie jamais croisée... Et l'indescriptible "Yeah, Oystaz!" et son légendaire speech final. En gros, cette chanson raconte comment le groupe est parti à la mer pour manger des huîtres, et n'en n'ayant pas trouvé se sont mis très en colère. Honnêtement, la partie finale de ce titre est une des choses les plus tordantes et les plus géniales qu'il m'ait été donné d'écouter. Et sachant que le titre entier est d'un niveau hallucinant, je vous laisse imaginer... allez, recomptez le nombre d'adjectifs enthousiastes rien que dans ce paragraphe, vous devriez commencer à comprendre.
Conclusion: cet album, qui est un PREMIER ALBUM AUTOPRODUIT est ce que j'ai pu entendre de plus abouti musicalement, de plus créatif et de plus totalement chtarbé depuis Infinity de Devin Townsend (et venant de moi, c'est dire quelque chose). C'est tout simplement incroyable de qualité. Il est rare que la démarche artistique d'un groupe ET le résultat fini soient à ce point réussis, c'est le genre d'album qui ne vieillira jamais, qui restera génial jusqu'à la fin des temps. Si le dernier titre n'était pas un poil trop long à mon goût, je lui aurais mis vingt sur vingt sans scrupules. Vivalavida est un album à écouter au moins une fois dans sa vie sous peine de mourir ignorant. Rien ne peut vous préparer à ça. J'espère en tout cas que cette chronique vous fera vous ruer chez votre disquaire, ou sur le Net. Je vous demande de me faire confiance: si cet album ne vous plaît pas du tout, je vous le rembourse. Parole de chameau.