Ptilouis : Nous te rencontrons aujourd'hui pour la sortie prochaine de The Source, le dixième album d'Ayreon. On peut noter beaucoup de chanteurs invités sur l'album, douze pour être exact. Est-ce que ce nombre était un choix préétabli ou as-tu envoyé beaucoup d'e-mails de proposition et le choix s'est fait sur le tas ?
Arjen : En fait, j'ai approché de très nombreux chanteurs, à peu près trente au total. Mais la plupart étaient simplement trop occupés, ou je n'arrivais pas à les joindre. Au final, beaucoup ne pouvaient pas participer pour des tas de raisons. Donc non, je ne me suis pas dit «
il me faut exactement douze chanteurs cette fois-ci », ça ne marche pas comme ça. Parce qu'il y a toujours des gens qui acceptent et puis plus tard me disent «
oh non, finalement je ne vais pas pouvoir ! » parce qu'ils sont en tournée ou autre chose. Tu vois que c'est différent pour chaque album d'Ayreon. Sur
The Theory of Everything, j'avais huit chanteurs, sur
The Human Equation il y en avait douze également, et sur
01011001 il y en avait dix-sept ! C'est le plus que j'ai fait !
(rires) La raison de ce nombre si élevé, c'est qu'à l'époque j'avais demandé à tous les chanteurs d'un coup, et ils ont tous accepté ! Donc j'en avais trop !
(rires)
Ptilouis : Justement, comment fais-tu le choix des chanteurs que tu invites ? Cette fois-ci, ont participé, entre autres nouveautés, Tommy Rogers de Between The Buried And Me ou encore Michael Eriksen de Circus Maximus...
Arjen : De façon générale, je me tiens très au courant des nouveaux albums et des nouveaux groupes. Je suis abonné à de nombreux magazines et j'écoute attentivement tout ce qui sort. Si j'entends parler d'un bon chanteur ou d'un bon album, je vais aussitôt sur YouTube et je me renseigne davantage. Je n'ai pas envie d'être un vieux gars bloqué dans les années 70s ! Je ne comprends vraiment pas ces musiciens qui disent d'un air un peu supérieur : « j
e n'écoute pas d'autres musiques, je n'ai pas envie d'être influencé ». Moi, j'ai envie d'être inspiré par d'autres musiques, j'ai envie d'en manger autant que je peux, et y prendre tout ce qu'il y a de bon ! Bref, c'est comme ça que je découvre les chanteurs. Et en gros, dans un premier temps vient la musique, puis ensuite l'histoire, et enfin je choisis les chanteurs qui me semblent pertinents compte tenu à la fois à la musique et de l'histoire. Par exemple, pour une histoire de science fiction, je sais que je ne pourrais pas choisir certains chanteurs qui ne colleraient pas avec le concept.
Silverbard : J'ai été très heureux d'apprendre que Tommy Rogers avait été sélectionné pour l'album, je trouve que son chant clair possède une dimension un peu « cosmique » qui colle parfaitement avec la thématique science fiction d'Ayreon, à l'instar d'Anneke [ndlr : Van Giersbergen, ex-The Gathering] ou de Jonas [Renkse] de Katatonia...
Arjen : Oui ! Bonne remarque ! Je suis complètement d'accord pour la comparaison avec Jonas !
Silverbard : Et par ailleurs, comme je considère BTBAM comme le « nouveau » Dream Theater aujourd'hui, je trouve le mélange des voix de Tommy et James LaBrie très intéressant ! Mais Tommy connaissait-il Ayreon avant que tu ne le contactes ?
Arjen : Oui ! Et j'en ai été moi-même très surpris ! Personnellement, je l'ai découvert avec son projet Thomas Giles, j'ai commencé avec son album
Pulse (2011) en particulier. A l'époque, je n'avais jamais entendu parler de BTBAM. J'ai écouté la chanson
"Hypoxia" sur YouTube et je me suis dit «
mon Dieu, c'est excellent » ! C'est à partir de là que j'ai approfondi ses travaux et que j'ai découvert Between The Buried and Me, qui a fait des choses extraordinaires également. Je ne savais pas comment rentrer en contact avec lui donc je suis allé sur Twitter, suite aux recommandations de quelqu'un qui m'a dit qu'il y était souvent. Je lui envoyé un message privé, de façon assez innocente et sans grand espoir. Car parfois pour les artistes que je contacte de cette façon, je n'obtiens jamais de réponse. Mais Tommy m'a répondu du tac au tac : «
bien sûr que je voudrais participer à ton nouvel album, j'adore ce que tu fais ! ». J'étais tellement surpris, je ne m'y attendais vraiment pas ! Je sais qu'il fait partie d'une nouvelle génération, mais pourtant il connaissait bien le projet et il m'a tout de suite dit qu'il adorerait faire partie de l'univers d'Ayreon. Il a vraiment été un gars formidable dans cette aventure, c'est quelqu'un de très attentionné et impliqué. Dès le début, il m'a dit : «
je ne veux pas que tu perdes de l'argent... ». Il m'a dit «
Je veux t'epargner des frais, tu n'as pas besoin de me payer de billet d'avion. Je vais tout enregistrer dans le studio où je vais habituellement avec BTBAM. Je connais quelqu'un qui pourra se charger de tout ça ». Je lui ai alors envoyé les «
guides de chant » (ndlr : on y reviendra dans la suite de l'interview), puis il s'est entièrement débrouillé seul. Il a même adapté et réarrangé certaines parties. Tout ça en respectant parfaitement le planning qui plus est. J'ai adoré ce qu'il a fait pour cet album, je n'aurai que des compliments pour lui et je le remercie de tout cœur pour le travail exceptionnel qu'il a fourni !
Ptilouis : Cependant, on retrouve sur The Source plusieurs chanteurs ayant déjà participé à l'aventure Ayreon. Je pense en particulier à Simone Simons. Elle n'avait que très peu de place sur l'album 01, alors qu'elle a un rôle bien plus prépondérant sur ce nouvel album. Est-ce une façon de réparer cette injustice passée ?
Arjen : Peut-être oui, elle ne figurait que sur un titre de
01..., une petite chanson qui dénotait d'ailleurs du reste de l'album. Pour remettre les choses dans leur contexte, au milieu de l'écriture de
01... je suis tombé en dépression après le divorce de ma femme. Je devais vivre seul, j'étais malade et ça a été un horrible moment pour moi. De ce fait, je suis difficilement objectif quand je repense à
01... Il y a une moitié où je me sentais bien, et une autre où j'étais au trente-sixième dessous. Avec le recul, je trouve cet album inégal car il manque de consistance. "Web Of Lies" fait justement partie de ces chansons qui ne collent pas au concept du reste de l'album. Cependant elle avait fait une très bonne performance, déjà à cette époque. Et je m'étais dit par la suite qu'un jour, je ferai en sorte de lui donner plus d'espace pour exprimer son talent. Ce fut le cas cette fois-ci, elle a fait de merveilleuses parties. De plus, c'est une femme si gentille et si drôle - toujours à faire des blagues - que ça a été un très bon moment.
Ptilouis : Et justement, y a-t-il d'autres chanteurs ou instrumentistes à qui tu n'as pas pu donner suffisamment d'espace - dans l'album 01... en particulier, puisque tu disais tout à l'heure qu'il y avait trop de chanteurs - et que tu souhaiterais vraiment faire revenir pour la suite ?
Arjen : Je penserais aussi à Daniel Gildenlöw (ndlr : Pain Of Salvation). Je suis convaincu qu'il peut apporter largement plus que ce qu'il a montré sur
01... Pour tout te dire, les parties qu'il chante sur cet album avaient été pensées à l'origine pour Roy Khan (ex-Kamelot). Ce dernier avait signé pour participer à
01... mais a eu un empêchement de dernière minute. J'ai donc contacté Daniel Gildenlöw en secours et au moment où il a accepté, Roy Khan est revenu vers moi pour me dire qu'il s'était libéré finalement... C'était un vrai bazar ! Mais bref, je pense que ces parties n'étaient pas vraiment adaptées à Daniel... Je ne sais pas si vous avez écouté le
nouvel album de Pain Of Salvation, mais je le trouve exceptionnel. Il peut faire tellement de choses que j'aimerais vraiment approfondir des parties vocales pour lui. Mais tu as raison, sur
01... il y a je pense beaucoup de chanteurs qui mériteraient mieux, plus d'espace. Mais comme je le disais, je pense que cette fois-là, il y avait vraiment trop de monde... (rires) Mais tu vois, si je prends l'exemple de James LaBrie qui participe à nouveau à l'aventure : j'ai aussi eu des retours extrêmement enthousiastes ! Récemment, j'ai pu lire des commentaires comme «
Oh, son timbre est si cool dans Ayreon, il chante tellement mieux ici que dans ses autres projets ! » (rire général). C'est vraiment le plus beau des compliments pour moi ! De parvenir à cela pour chaque chanteur qui collabore avec moi, de l'utiliser de façon légèrement différente que dans son groupe, c'est vraiment ça mon objectif ! Lui donner la chance de briller. Mais pour conclure là-dessus, je pense que pour la suite, je ne ferai plus jamais appel à plus de dix-douze chanteurs par album.
Silverbard : Pour finir sur le thème des chanteurs, mes parties musicales préférées dans Ayreon ont toujours été ces envolées grandiloquentes et épiques en crescendo. Et je dois avouer que j'ai été à nouveau bluffé cette fois-ci par ces chansons à climax comme "Sea Of Madness" ou "The Human Compulsion". Je pourrais aussi citer "The Sixth Extinction" sur 01... Pour ces parties, donnes-tu plus d'improvisation pour les chanteurs ?
Arjen : Oui, c'est de la pure improvisation. Pour t'expliquer le processus sur ce type de partie, je m'enregistre en «
parlant » les paroles dans un premier temps, il n'y a pas de fameux «
guides de chant ». Je montre juste où ça mène et c'est la liberté du chanteur de s'approprier le texte et d'improviser le chant dessus.
Ptilouis : D'ailleurs en termes d'improvisation, Mike Mills a fait quelque chose de particulier avec les "Zero" "One"...
Arjen : Oui absolument, il a fait quelque chose d'incroyable !
Suite de notre interview du bonhomme et de ses multiples anecdotes en juin !