Winter : Bonjour, ça ne vous dérange pas de répondre aux questions d’un webzine chroniquant très essentiellement de la musique bruyante et merdique de gentils gars pas bien malins (pour reprendre la description en vogue actuellement)?
Delamore : Non. Ça ne présage que des questions hors-format, ce qui ne peut-être que stimulant en ce qui nous concerne.
Winter : 4AD, ça me parle terriblement. Normal, je suis vieux, mais vous… Vous êtes vieux, malgré votre aspect physique, ou vous êtes des jeunes qui s’intéressent à des trucs de vieux ?
Delamore : On est juste curieux et on va vers ce qui nous plaît, toutes catégories temporelles comprises. Par ailleurs, 4AD a encore une bonne activité et je suis sûre que des jeunes-vieux découvrent encore de la bonne musique de vieux-jeunes via des jeunes-vieux. Tu me suis ?
Winter : Connaissez-vous Little Nemo ? Y-a-t-il un peu d’eux en vous ? Je dis ça pour la nostalgie, le côté « étudiants poètes » de leurs premiers travaux ?
Delamore : Little Nemo In Slumberland est dans ma chambre mais je ne connaissais pas le groupe. Après avoir écouté quelques groupes de la mouvance Touching Pop, je garde quand même une préférence pour les groupes britanniques de la même époque, genre The Chameleons. Il y a quand même une souplesse qu'on retrouve moins en France, même quand c'est plus prononcé cold wave ou rock gothique. Mais peut-être qu'il y a encore une fragilité et une recherche dans notre musique qui te feraient penser à des groupes comme celui-ci effectivement. En tout cas merci pour la découverte.
Merci Foule Fête : Connaissez-vous Moodoïd, un collectif déguisé et maquillé, très psychédélique, avec des paroles en français assez absconses ? Si oui qu'en pensez-vous ?
Delamore : On connait Moodoid, dont on a direct remarqué le son et l'allure lorsque qu'ils ont commencé. Par la suite, on a un peu décroché et je pense que c'est dû au psychédélisme que tu décris, dans lequel on ne se retrouve pas trop.
Merci Foule Fête : Avez-vous reçu de l'aide d'un ingé-son professionnel pour enregistrer ? Votre son cristallin à la Cocteau Twins est tellement bluffant...
Delamore : Son = secret bien gardé.
Winter : Vous avez un nombre de morceaux bien suffisant pour faire un album, mais vous semblez préférer semer les titres, de ci, de là. L’absence d’album est-il un moyen de faire perdre un peu de ses repères à l’auditeur ?
Delamore : Je ne pense pas que la parution de titres au compte goutte puisse semer l'auditeur aujourd'hui, c'est plutôt la manière qu'ont beaucoup de gens d'écouter de la musique actuellement. On réfléchit encore à la façon dont nous allons donner forme à ces titres, mais en tout cas on a très envie d'enregistrer cette année. Alors affaire à suivre, et de très près si tu veux mon avis.
Winter : En rapport avec la question précédente, ne me dites pas que vous n’avez pas attiré l’attention d’un label, et pourtant, vous restez auto-produits… Vous n’avez pas obtenu de deal sérieux, ou vous restez dans cette démarche un peu « insaisissable » ?
Delamore : On veut rester libres, mais pas forcément seuls. Ce qui compte pour nous en matière de label c'est qu'on soit en accord humain et artistique. Notre démarche indépendante est profonde, mais je ne pense pas qu'elle soit incompatible avec une association de ce type. Aussi, on cherche et on reste ouvert.
Winter : Où est située votre île ?
Delamore : Nous ne nous revendiquons d'aucune île. Cette rumeur est née d'un joli article sur le Groupe Obscur, rédigé par un poète qui a fait de ce petit bout de terre la métaphore de notre univers. On a bien les pieds sur terre, ce qui n'empêche pas d'avoir la tête dans les nuages a priori.
Winter : Lorsqu’on te pose des questions touchant à votre identité « profane », individuelle, ta tête est un poème. On a la sensation que tu dis « ferme-la et laisse nous jouer notre musique ». N’est-ce qu’une impression ? Avez-vous la sensation que votre univers musical et pictural se suffit à lui-même sans qu’on n’ait besoin d’en savoir plus sur des détails plus… matériels, concrets ?
Delamore : Aha, oui absolument. L'explication, le dévoilement, c'est comme un piège dans lequel on n'a pas du tout envie de tomber. Les choses existent et parlent d'elles-mêmes, on aimerait ne pas avoir à verbaliser ce qui n'a pas vocation à l'être. Le paradoxe, c'est qu'on parle beaucoup de ressenti, mais qu'on nous parle beaucoup de concept. En fait, ce qui nous plairait pas mal, c'est de parler de tout sauf de notre musique.
Winter : Vos costumes… je les situerais plus dans les 60s que les 70s. Ils m’évoquent plus certaines vieilles séries (Belphégor, Le Prisonnier,…) de cette décennie que la mouvance psyché 70s, tant prisée des groupes d’occult rock. Fais-je fausse route ?
Delamore : Ah bah, j'ai regardé vingt-sept mille fois Gandahar (NDW: elle m’envoie une photo de Gandahar, ci-dessous) quand j'étais plus petite. Et je suis une bonne adepte de Jodorowsky ou Moebius, ou de films comme "The Wicker Man", alors tes références me parlent. Mais franchement, on puise partout, j'aime bien détourner le costume traditionnel par exemple. Plus que dans une époque on se situe, dans un esprit qui doit être grandiose et sinistre à la fois.
Merci Foule Fête : D'où vient le choix des costumes inspirés du Tarot Divinatoire ? Êtes-vous motivés par des croyances fondées sur l'ésotérisme ?
Delamore : Le Tarot Divinatoire était une forme idéale pour présenter tout le vestiaire actuel du Groupe Obscur, comme un inventaire auquel on aurait donné un supplément d'âme. L'ésotérisme oui, si on considère notre musique comme un mystère auquel il faudrait s'ouvrir pour apprécier et se sentir initié. Mais on ne la pense pas du tout excluante. En fait, on parle plus souvent d'occultisme, car je pense que c'est notre conception même de la musique ; c'est du suprasensible.
Winter : Point de vue composition, j’ai vraiment l’impression que vous partez de quelques enchaînements de notes « banals » et que vous en tirez l’essence magique, onirique. Cette transformation s’opère-t-elle de manière spontanée, en « jouant » avec les sons, ou provient-elle d’un travail plus systématique et plus long ?
Delamore : On fait des chansons, c'est ce qui nous rapproche le plus de la pop musique. Je pense que c'est cette forme qui t'évoque un truc banal. C'est dans notre culture, on aime ça sans complexe. Mais le reste, la transformation, est sincère. La bizarrerie de notre musique, c'est juste nous, on a trouvé notre son. Et pour parler de ce que qu'on fait dans Lgo on utilise pas le mot « travail ».
Winter : Vous êtes cinq… Dans le Tarot, c’est le Pape, la prêtrise. De qui êtes-vous les prêtres ?
Delamore : Du fun, de l'occulte et du rock.
Winter : Vous vous plaisez dans les ténèbres, l’obscurité, qui permettent de préserver le mystère de votre univers. Si vous connaissez le succès, vous serez exposés à beaucoup de lumière (pas forcément divine). Êtes-vous disposés à cela ?
Delamore : C'est une très bonne question, qui de fait n'a pas encore de réponse. En tout cas, chaque étape qui nous fait nous confronter à une plus large exposition amène son lot de réflexions et de décisions quant à la manière dont on veut communiquer, ou pas d'ailleurs. On apprend. La vraie question pour nous demeure cependant : est-ce que le monde lui, est disposé à l'exposition du Groupe Obscur ?
Winter : Votre album préféré de Cocteau Twins ? Un album qui vous ait marqué en 2017 ?
Delamore : Heaven or Las Vegas ! On a sinon beaucoup aimé Nektyr de Demen. Nos copains Ben&Tom et de Train Fantôme ont aussi sorti de super EPs l'année dernière. Bon et même si ça fait partie de 2018, je trouve le dernier MGMT vraiment bien.
Winter : Vos projets pour 2018 ?
Delamore : Enregistrer, tourner, se réinventer et beaucoup s'amuser.
Winter : Le mot de la fin ?
Delamore : On l'a pas encore trouvé.