Belzaran : Pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
Philippe Saidj : Je suis un adolescent attardé, pas dans le sens de débile mental - quoique… - plutôt dans le sens de vieux. Je suis un fan de metal depuis l’âge de dix ans. J’ai eu la chance d’écouter quelques groupes sympathiques et depuis quelques temps, j’ai décidé d’écrire sur ma passion et d’allier à ça des intrigues policières, car je suis également un grand fan de romans policiers.
Belzaran : Quand t’es-tu mis à écrire ?
Philippe Saidj : J’ai eu des velléités d’écriture depuis assez longtemps, mais c’était le truc assez typique : j’écris deux secondes, je vois que ça ne va pas du tout, j’arrête. Ça a vraiment commencé en août 2005 quand ma femme attendait notre premier enfant. Le dernier mois de grossesse, on ne se promenait plus par monts et par vaux et je me suis dit « tiens, j’ai vraiment envie de me m’y mettre ». C’est là que j’ai écrit une espèce de petite nouvelle – je crois que je ne l’ai plus – qui s’appelait
Le Guerrier au visage de cire qui était le prélude à mon premier roman,
Monsieur B. C’est là que ça a vraiment commencé. Ce n’était peut-être pas un résultat extraordinaire, mais je me suis dit « je vais écrire, j’ai envie d’écrire » et il y avait une constance dans cette envie, ça ne s’est pas étiolé au bout de deux jours. Il y avait une envie véritable et pérenne.
Belzaran : Tu disais que tu aimais les romans policiers. Quelles sont tes influences en la matière ?
Philippe Saidj : J’ai été élevé dans le goût du polar historique. Ma mère a été ma première influence d’un point de vue littéraire (musicalement, pas vraiment…). Elle lit énormément et me disait régulièrement « tu devrais essayer celui-ci, celui -là. » J’aime beaucoup mentionner Fred Vargas, car c’est une auteure qui m’a marqué. Je la trouve vraiment brillante, avec un univers bien décrit, des personnages en nuances, ça va bien au-delà de la simple intrigue policière à la Agatha Christie. Je n’ai rien contre Agatha Christie, mais là, il y a tout un univers de nuances que j’adore. Donc je dirais Fred Vargas en premier.
Après, en romans policiers… Je pourrais en citer pas mal. Beaucoup de la collection 10/18. Colin Dexter… Également du côté du polar scandinave. J’ai découvert il n’y a pas si longtemps tout l’univers de l’inspecteur Wallander, d’Henning Mankell. Également Indridason, l’Islandais.
Belzaran : Tu as commencé par écrire des polars. Sur tes derniers romans, tu parles davantage de ce que tu as pu vivre dans ton existence. Tu parles plus de metal également. Peut-on considérer ces romans comme des autofictions ?
Philippe Saidj : Mon premier roman n’est pas un polar. C’est le seul qui n’a pas d’éléments policiers ou très peu. C’est ce que j’appellerais un conte fantastique, assez maladroit, avec énormément de coquilles dans le texte (mon éditeur était une catastrophe). J’ai essayé de retranscrire plein d’images que j’avais en tête, issues de toutes mes écoutes de metal. Ensuite, il y a une période de trois bouquins qui sont sortis et édités. Il s’agit de polars un peu tarabiscotés, avec quelques éléments fantastiques, mais c’est en effet complètement coupé de ma vie, même s’il y a un concert de metal par-ci par-là, mais c’est au second plan de l’histoire.
Depuis
La Forme du Désespoir, le dernier livre publié, il y a un côté auto-fictionnel dans la mesure où j’ancre les intrigues dans l’univers que j’ai connu – l’univers des écoles d’ingénieurs – où je passais mon temps entre l’école et les concerts. Le personnage principal, Alex, me ressemble beaucoup (avec quelques points de divergences, ceci dit). En cela, il y a un côté autofiction.
Belzaran : On sent une volonté de décrire une période de ta vie, mais en construisant un polar dessus.
Philippe Saidj : Tout à fait. J’ai envie d’intéresser les gens, ma vie n’est pas susceptible d’être une base à elle seule pour un roman policier-fantastique. Donc il a fallu imaginer des choses.
Belzaran : Il y a un côté nostalgique au niveau du partage de la musique. Les walkmans, les cassettes que l’on se passe, aller chez le disquaire… C’était voulu d’ancrer ces romans dans une époque révolue ?
Philippe Saidj : Oui et non. Je suis une personne très nostalgique effectivement. J’ai toujours tendance à repenser aux bons moments passés. Ce n’est pas que je déteste le futur, mais j’ai un caractère à aller fouiller souvent dans le passé. J’avais envie de décrire tout un univers, mais je ne me suis pas dit spécifiquement : « j’ai envie de décrire comment on écoutait de la musique à l’époque ». Par exemple, dans le roman que je suis en train d’écrire, je parle de
tape trading. C’est juste que ça faisait partie de l’univers. On faisait comme ça, point. J’avais envie de parler de l’univers que j’ai vécu, sans volonté didactique.
Belzaran : C’est vraiment sur la partie musicale que l’on ressent le plus l’époque. On ressent moins l’absence du monde actuel (téléphone, réseaux sociaux...).
Philippe Saidj : Sur
La Forme du Désespoir, Alex et Yves s’envoient des mails, on n’est pas si éloigné du monde actuel. La différence s’accentue avec les romans suivants, qui remontent dans le temps. Les gens s’y parlent encore au téléphone fixe, il n’y a pas de réseaux sociaux. Mais pour en revenir à ta remarque, c’est vrai, la partie qui fait la plus désuète, c’est le partage de la musique.
Belzaran : Tu écris une série de romans sur ton personnage Alex. Pourquoi écrire à rebours ?
Philippe Saidj : Ce n’est pas du tout prémédité, c’est du pragmatisme. Quand j’ai fini d’écrire
Loin de la lumière (le dernier roman de ma période non metal et non auto-fictionnelle), j’ai eu envie d’écrire sur ma période d’école d’ingénieur à Paris. De paysan qui monte à la capitale. Parce que j’ai considéré que c’est ce qui m’avait le plus marqué de ces années scolaires. Une fois fini d’écrire ce livre, je me suis dit que ça pourrait être sympa de parler d’autres époques. C’est là que j’ai eu l’idée d’écrire à rebours. Je me suis demandé quelles époques pourraient être intéressantes. Mon passage en classe prépa s’est imposé comme un cadre à explorer pour le deuxième volet de la série « Alex ». Pour le troisième, on verra. Les années lycée et collège pourraient être sympas aussi. Bref, j’écris à rebours pour une question de priorité dans ce que je veux raconter.
Belzaran : N’as-tu pas peur des problèmes de cohérence entre les différents livres ?
Philippe Saidj : Ça peut poser problème. On sait déjà que Alex et les personnages cités dans le premier roman ne mourront pas. Il y a aussi un côté irréel. C’est-à-dire qu’Alex, dans
La Forme du Désespoir, n’évoque absolument pas ce qu’il a vécu en prépa dans
Sous Pression. Ce n’est pas très réaliste, c’est sûr. J’essaie, ceci dit, de penser, de rétro-penser, pour rendre les choses assez cohérentes, préparer le terrain. Notamment dans ses rapports avec sa petite copine Flo, qui sont un peu fluctuants. Là-dessus, j’essaie de faire en sorte que ça cadre, mais oui, il y a un côté irréaliste. Je l’assume. Je ne peux pas y faire grand-chose. C’est comme ça. Je ne pense pas que ce soit un grand problème pour le lecteur. De toute façon, la partie fictionnelle de mes œuvres est toujours en bordure du fantastique. Je ne prétends pas ici à un réalisme à 100%. Il y aura sûrement des failles de cohérence que des petits malins qui s’emmerdent pourront toujours pointer du doigt, mais ça ne m’inquiète pas.
Belzaran : Un projet avec Alex plus âgé ?
Philippe Saidj : Possible. Je ne suis pas encore sûr. Je ne sais pas combien de temps je vais passer encore sur Alex. L’Alex qui m’intéressait était l’Alex adolescent, jeune adulte. Je n’ai pas encore trop d’idées, mais évoquer un Alex blasé, entre trente et quarante ans, qui a pris de la bouteille, un peu moins impulsif et immature, ça peut être sympa. J’ai un projet embryonnaire, d’écriture à quatre mains, où serait impliqué Alex. Je ne peux pas en dire plus, car c’est trop prématuré. On commence. Il y a des scènes d’écrites.
Belzaran : Parfois, des personnages de tes romans font des apparitions dans d’autres…
Philippe Saidj : Le protagoniste de mes trois romans non auto-fictionnels est un policier qui s’appelle Michel Faubert. Il se trouve que le grand ami d’Alex en école d’ingénieur est le fils de ce gars. C’est un petit clin d’œil, disons une construction d’un univers un petit peu plus global où tout « se tient », entre guillemets. J’aime bien réutiliser. L’idée de prêter Alex à un autre écrivain, c’est quelque chose que je trouve sympa aussi. Alex a pour mission de porter la bonne parole du doom à l’univers entier.
Belzaran : C’est ton petit côté Zola…
Philippe Saidj : Je ne suis pas Zola, ni pour son talent, ni pour son univers. Je ne veux pas faire le
Silmarillion de Tolkien non plus. J’aime bien qu’il y ait une petite cohérence. Je ne pense pas que ça prenne des proportions de dynastie ou de mondes écrits par le menu détail. Je te parle plus de Tolkien, car ça me touche plus que Zola. Je respecte immensément son œuvre, mais ce n’est pas quelque chose qui m’attire énormément.
Belzaran : Tes personnages ont beaucoup de problèmes de communication, surtout Alex. Ils ne se comprennent pas, enchaînent les non-dits, se font la gueule… C’est une problématique de ton existence ?
Philippe Saidj : Je pense que ce n’est pas la problématique de mon existence, c’est le problème de l’existence en général. Nous ne communiquons pas bien. Personne ne communique bien. Alex est un très mauvais communiquant, mais le nombre de problèmes liés à une mauvaise communication, à ne pas oser, ne pas vouloir, ne pas pouvoir dire les choses, est immense. Et on en crève. Pour moi, ça va bien au-delà d’Alex. En tant que Philippe Saidj, ça l’a été. Justement, j’ai beaucoup travaillé pour pouvoir ou savoir dire les choses, même si je suis encore loin d’être parfait là-dessus. J’ai été assez du genre à faire la gueule, un peu comme Alex. C’est en tout cas quelque chose qui me touche, ce sujet.
Belzaran : Ces problèmes de communication sont-ils liés à l’âge de tes personnages, adolescents ou à peine plus âgés ?
Philippe Saidj : Possible. C’est absolument exacerbé à l’âge d’Alex. Néanmoins, les parents d’Alex, par exemple, ne se parlent pas énormément. L’inspecteur Faubert à l’époque du roman est en plein divorce. Dans
Sous Pression, le roman d’après, il y a aussi de sacrés problèmes. C’est donc plus général qu’une histoire d’adolescence. Je pointe du doigt la période où la communication est terriblement mauvaise, mais elle n’est guère mieux par la suite. C’est le constat que je fais, dans le monde professionnel ou familial, les gens ne savent pas se parler sans tout de suite se mettre sur la gueule.
Belzaran : La Forme du Désespoir est un roman sur les femmes. Tous les personnages féminins représentent un archétype de la « fille » tel qu’on peut les concevoir à vingt ans - la timide, la parfaite, etc. Pourtant, le roman est très prude et évite d’aborder le désir. Pourquoi ?
Philippe Saidj : Je nuancerais quand même un petit peu. Le désir purement sexuel, oui, d’accord, j’en parle peu. Mais il y a d’autres formes de désir. Prude ? Ça parle un petit cul quand même ! Mais bon, j’ai une certaine pudeur, oui. Ça évolue également avec
Sous Pression. Après, je n’ai pas envie de m’attarder plus que ça sur la description d’actes sexuels. Je n’ai absolument rien contre, la sexualité fait partie de la vie. Mais ce n’est pas l’élément essentiel de mes ouvrages et on peut très bien se documenter sur le sujet de nos jours en allant sur internet...
Belzaran : Pour rester sur le désir, ton personnage Alex, lorsqu’il rencontre de nouveaux « mâles », il y a des relations de séduction qui se mettent en place…
Philippe Saidj : Oui. Alex est dans la séduction quand il rencontre une nouvelle personne. C’est assez rigolo, d’ailleurs, car il reproche à son pote, Yves, de faire la même chose. Il a un côté sentimental, séducteur, pas spécifiquement sexuel. Moi, j’ai aussi un peu cette facette, mais Alex l’a plus encore. Je pense que j’avais envie de développer ça. Dans la fiction, ça passe assez bien. C’est amusant. Ça peut donner des dialogues un peu marrants. Ce n’est pas à envisager sous un aspect dramatique.
Belzaran : Tes personnages parlent beaucoup de musique, mais aucun n’est musicien. N’est-ce pas un manque dans tes bouquins ? Parler de la création musicale en soit ?
Philippe Saidj : C’est vrai. Aucun n’est musicien. Personnellement, mon univers métallique n’a jamais vraiment été un univers de musiciens. Même si je suis avec MkM, le chanteur de
Aosoth et d’
Antaeus. On s’est perdus de vue quand je suis parti de Paris. Antaeus commençait juste, c’était le début. Je suis allé à des répètes de certains groupes, mais mon milieu de metalleux était un milieu de consommateurs plus que de producteurs. Je pense que ça a joué. Comme j’ai envie de raconter ce que j’ai vécu, ça aurait été compliqué pour moi de parler de plein de musiciens, puisque j’étais du côté des fans.
Belzaran : On sent les romans fortement ancrés dans des réalités que tu as vécues. Comment gères-tu les parties plus fictionnelles ? Tu te documentes ?
Philippe Saidj : Je ne connais pas tout ce que je raconte avec une connaissance profonde, mais je ne suis plus tout jeune, j’ai quand même trainé dans différents milieux. J’ai un petit vécu. Je ne me suis pas prostitué, rapport à une scène de
La Forme du Désespoir, mais j’ai connu des gens avec de vrais problèmes. Je n’ai donc pas trop besoin de me documenter. Toutes ces histoires de drames personnels m’intéressent. Ces trajectoires qui, à un moment donné, déraillent. Pour ça, être un vieux schnock, ça aide.
Belzaran : Même si tes romans ne peuvent être considérés comme fantastiques, ils en sont plus ou moins empreints. N’as-tu pas envie de revenir à un roman purement fantastique un jour ?
Philippe Saidj : Pourquoi pas ? Ce n’est pas impossible. C’est un univers que j’aime beaucoup. J’ai quelques auteurs fétiches fantastiques. Le vieux fantastique. Dans
La Forme du Désespoir, je décroche deux secondes pour imaginer quelques scènes d’un film complètement inventé qui s’appelle
Orlok. Orlok est d’ailleurs une figure que j’utilise pour mon deuxième roman,
La Dague de Jade. Le comte Orlok, le vampire de Murnau, rôde toujours. Est-ce qu’un jour il se mettra au premier plan ? Pourquoi pas ? Ce n’est vraiment pas à exclure.
Belzaran : Comment édites-tu tes bouquins ?
Philippe Saidj : Pour mon premier roman, c’était une catastrophe. C’était à compte d’auteur. Je me suis fait arnaquer. Le puceau se faisant dépuceler. Pour le second, c’était dans la maison d’édition d’un ami. Il n’y avait pas assez d’investissement et je n’avais pas un carnet d’adresse suffisant pour que ce soit quelque chose de rentable – ce n’est pas le bon mot, disons pour qu’on puisse vraiment bâtir une relation durable entre éditeur et écrivain. Ce n’est vraiment pas facile de nos jours.
Ensuite, je suis parti sur l’autoédition via Amazon. Pour mes romans trois, quatre et cinq. Donc
La Forme du Désespoir est sortie via Amazon.
Sous Pression, le prochain livre sort
via un label musical de musique extrême, Malpermesita, qui a sorti entre autres les derniers albums de
Fading Bliss (du doom death d’excellente qualité) ou
Merda Mundi, un des mille projets de Déhà et bien d’autres choses encore. Juliette (qui n’est pas la Juliette de
La Forme du Désespoir, elle est bien en vie, elle, pour les cent prochaines années à venir, j’espère) était intéressée par mon bouquin et avait envie de diversifier son offre et de ne pas se cantonner qu’à la musique. De fil en aiguille, elle a créé Malpermesita Bookstore. Elle vend mon bouquin sur le stand de Malpermesita à chaque festival. Pas que le mien, d’ailleurs, ceux d’autres auteurs aussi, Jérémie Grima, Elmor Hell…
Belzaran : Écoutes-tu de la musique pour écrire ? Si oui, laquelle ? Tu as une playlist pour chaque roman pour te remettre dans l’époque ?
Philippe Saidj : J’écris en musique, forcément. C’est lié pour moi. Je pense que j’aurais du mal à écrire sans musique. C’est peut-être arrivé, mais ça a dû être très rare. La musique me plonge dans mon univers littéraire donc il faut toujours que je trouve la musique adéquate.
Je ne fonctionne pas par playlist au moment de l’écriture. Mais après coup, je m’amuse à construire une playlist pour chaque bouquin. Déjà pour la période non auto-fictionnelle, j’ai fait des petites playlists. Là, pour
La Forme du Désespoir, il y a une playlist plus élaborée. J’ai cherché des morceaux qui collaient. Pas uniquement
Shape of Despair (le groupe qui donne le nom à
La Forme du Désespoir).
Je travaille par époque et style. Pour
La Forme du Désespoir, c’était doom 100% ou presque. Shape of Despair,
Draconian,
Trees of Eternity… Un petit peu de black metal, aussi.
Emperor,
The Great Old Ones pour parler de certains passages évoquant Lovecraft. Pour
Sous Pression et la prépa, qui est mon époque gothique, j’ai changé de registre et écouté énormément de gothique, donc, et d’électro. Mes choix de groupes concrets se font purement à l’instinct.
Belzaran : C’est quoi cette obsession pour Shape Of Despair ? Tu t’es fait dépuceler sur un de leurs albums ou quoi ? Ça frise le prosélytisme.
Philippe Saidj : Non ! Sur quoi je me suis fait dépuceler, moi ? Non, c’était bien avant quand même... Faisons un calcul... Shape Of Despair, j’ai découvert ça il n’y a pas longtemps, en fait. En 2013, ou quelque chose comme ça. Pour la sortie de leur troisième album,
Illusion’s Play. Et vu que j’ai des enfants qui sont tous nés avant 2013, je pense que j’ai dû me faire dépuceler avant… Enfin j’espère…
Après, est-ce du prosélytisme ? Oui. C’est simplement un groupe où j’ai tout de suite compris que c’était ce que je recherchais en musique. C’est vraiment quelque chose qui m’a touché. L’époque que je décris, que j’ai vécu de 1992 à 1995, j’ai dû la déplacer d’un peu moins de dix ans pour caler ça sur la sortie de
Angel of Distress, l’album culte de Shape of Despair. Donc oui, c’est du prosélytisme. Mais je préfère emmerder les gens avec ça plutôt qu’avec des trucs politiques ou du véritable militantisme. Ça, ça me casse les couilles.
Belzaran : Tu aimes mettre en scène des métalleux qui s’engueulent sur leurs groupes préférés, leurs rivalités sur les différents styles. C’est un truc que tu aimes faire dans la vie ? Débattre sur les groupes de metal ? Qui est le meilleur ? Qui est nul ?
Philippe Saidj : Alors, qui est le meilleur et qui est nul, moins qu’avant. À une certaine époque, oui. « Qui est le meilleur », c’est impossible à dire. « Qui est nul… » C’est sûr qu’il y a des groupes que je ne peux pas supporter… Mais bon, on est censé apprendre que nos goûts sont relatifs, non ? Ce n’est pas parce que l’autre n’aime pas Shape Of Despair – toi, par exemple – qu’il est méchant... J’ai réussi difficilement à passer ce stade, mais je l’ai passé… Après, j’adore encore débattre de ce genre de choses, mais dans un esprit plus œcuménique et plus serein. Pas qu’en musique d’ailleurs. Qu’est-ce que j’ai pu passer comme temps à débattre. Musique, politique, foot… Les débats PSG-OM ou OL-Sainté… Mon dieu… J’en ai vécu un certain nombre.
Point de vue musique, on y passait énormément de temps, au début des années quatre-vingt-dix. MkM, par exemple, connaissait des millions de groupes. Il a une culture musicale de fou. Il y avait de quoi débattre. En plus, rends-toi compte que ces années-là, ce sont les années d’éclosion de pas mal de scènes extrêmes : black metal, black metal symphonique, brutal death metal, gothic doom, doom death, etc. Il y avait une explosion de saveurs nouvelles. Ça donnait lieu à des échanges passionnés. Bruno, mon initiateur gothique auquel je rends hommage dans
Sous Pression, était lui aussi passionné et cultivé. Et nous n’étions pas les pires dans le genre passionné. Il y en a qui avaient des avis terriblement tranchés. Ça m’a vraiment marqué.
Belzaran : Es-tu déjà allé à un concert d’un groupe que t’aimais pas pour draguer une fille ?
Philippe Saidj : Non. Heu… Enfin, non, je ne crois pas. De toute façon, je n’étais pas un gros dragueur.
En fait si, quand même. C’est arrivé.
Belzaran : Le confinement stimule-t-il ta créativité ?
Philippe Saidj : Non. Elle ne la met pas en berne non plus. Pour moi, le confinement c’est un peu un non-événement. Ce n’est pas quelque chose qui bouleverse ma vie. C’est un sujet sérieux, hein, mais je n’ai pas l’impression que ma vie soit bouleversée. Après, on verra si ça dure trois mois de plus.
Belzaran : Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Philippe Saidj : Il faut lire les
Eternels. C’est le bien, les
Eternels.