Oriza : L'un de tes héros, Aaron, est chercheur en neurosciences, spécialiste des troubles du sommeil. Pourquoi avoir choisi comme thème central la narcolepsie ?
Xavier : Étant gamin, j'ai été somnambule assez sévère. J'ai fait des trucs assez rigolos. Rien de dangereux mais toujours un peu intrigants. Je me suis intéressé aux troubles du sommeil par ce biais là. Par exemple, j'ai longtemps cru au Père Noël parce que je l'ai vu dans mon salon. On appelle ça des hallucinations hypnagogiques, c'est-à-dire que tu as un décor réel, dans lequel tu te déplaces parce que tu fais une crise de somnambulisme, et dans ce décor réel tu vois des entités fictives qui apparaissent. Et moi j'ai vraiment vécu ça. J'étais dans mon salon et j'y ai vraiment vu le Père Noël. J'ai vécu plein de petites choses comme ça qui font que ce mécanisme-là m'a toujours intrigué.
Oriza : C'est donc très personnel. Quelque chose qui te touche personnellement.
Xavier : En fait ce bouquin, les cent premières pages, c'est vraiment hyper personnel. En écrivant ces cent premières pages, je me suis rendu compte que les planètes s'alignaient vraiment sur ce thème-là. Par exemple à Lyon, il y a eu un éminent chercheur qui a découvert le sommeil paradoxal : le Professeur Jouvet. Tout ça a fait que je me suis dit : narcolepsie, tout ça, il faut que j'écrive là-dessus.
Oriza : T'identifies-tu, au moins en partie, à tes personnages ? Si oui, auxquels ?
Xavier : Oui carrément ! Aaron et Luc, il y a un peu de moi dans les deux. La petite bagnole rouge de Luc, c'est la mienne. Sa maison, ce n'est pas la mienne mais c'est une maison que je connais bien. Le caractère d'Aaron et de Luc c'est un peu moi. Il y a vraiment de moi là dedans.
Oriza : C'est vrai qu'on dit souvent que dans le premier bouquin, un auteur met beaucoup de lui-même, parce qu'il ne sait pas si ça va être le seul...
Xavier : Ouais et puis tu n'as pas de références finalement, autres que les tiennes.
Oriza : On sent que ton livre est très personnel. On voit ta sensibilité.
Xavier : C'est ce que je voulais. Cela a d'autant été difficile de le sortir. Ce bouquin à la base n'était pas du tout fait pour être publié. Je l'ai vraiment fait pour moi car j'avais besoin d'écrire ce que j'avais vécu, notamment en médecine. Les cent premières pages, c'est tout du vrai, je n'ai rien inventé. Donc il était fait pour moi. Un journal intime il faut assumer à cent pour cent ce que tu racontes. Là tu peux toujours te dire : c'est un roman, quoi. Et finalement quand je l'ai fait lire à des amis, à peu près à la moitié du récit, ils m'ont beaucoup soutenu en me disant que c'était dommage de le garder pour moi. Alors je l'ai sorti mais en me sentant vraiment à poil. J'ai fait le pas, ça va maintenant.
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Oriza : Il y a peu de personnages dans Bleu Chimère et la majorité de l'histoire se déroule sous forme d'introspection de chacun des deux héros. Peu d'interaction avec autrui, beaucoup de dialogues intérieurs avec soi-même, voire entre les deux hémisphères cérébraux de Luc. As-tu fais ce choix volontairement ou cette manière de présenter les choses s'est-elle imposée à toi ?
Xavier : Le dialogue est quelque chose de compliqué. C'est un truc que j'ai du mal à gérer. Le dialogue me faisait peur donc j'ai vraiment limité son usage. Parce que dès que j'écrivais du dialogue j'avais la sensation que si je l'entendais en vrai, ce ne serait pas crédible. C'est pour ça qu'il y a beaucoup d'introspection aussi, je pense. Et puis je trouvais un peu l'intrigue complexe, donc je ne voulais pas mettre trop de personnages pour ne pas perdre le lecteur. Et ne pas me perdre moi, aussi. Quand tu veux que l'intrigue avance vite, ça file quand tu as peu de personnages.
Oriza : Peu de femmes également... Et uniquement perçues à travers les pensées de Luc ou d'Aaron.
Xavier : Oui parce que j'avais envie de donner une place très particulière à UNE femme dans ce bouquin. C'est pour ça que la femme de Luc, j'en parle très très peu, parce que je voulais me focaliser, pas vraiment sur l'idéalisation d'une femme, mais une femme très particulière. Donc j'avais besoin de focaliser mon travail sur cette femme-là. Je me sentais incapable de dérouler la psychologie du sexe opposé. Dérouler la psychologie d'une femme pour que ce soit crédible... j'y comprends rien moi.
Oriza : Comment/pourquoi as-tu choisi les endroits précis de Lyon que tu décris ?
Xavier : Parce que ce sont des endroits que je connais bien et que j'aime beaucoup. Tout simplement. Là encore, c'est vraiment moi. La fac de médecine dont j'ai arpenté les couloirs des années et des années. J'avais envie aussi d'écrire ce livre pour les étudiants dans cette fac. J'avais envie de transmettre parce que cet amphi que je décris n'existe plus. Il a été détruit. Et eux ne connaissent pas cet aspect-là de la fac. Là je discute avec l'université, j'aimerais beaucoup que Bleu Chimère puisse au moins être à la bibliothèque pour qu'il puisse y avoir une petite trace historique de ce que c'était il y a quinze ans...
Oriza : Justement, t'es-tu intéressé à l'histoire de Lyon, de ces lieux que tu décris ?
Xavier : Vraiment en surface. Parce que je me suis vite retrouvé confronté à quelque chose d'assez technique. Le travail historique, je n'imaginais pas que c'était aussi difficile que ça. Donc vraiment en surface mais toujours en étant certain de ce que j'avançais. Cela reste très léger mais j'aimerais bosser là-dessus pour la suite. Pour les prochains. Ce côté historique, je me suis éclaté à faire ça.
Oriza : Comment as-tu choisis les morceaux qui jalonnent ton roman ? Certains m'ont semblé en lien direct avec l'histoire ("Nothing Else Matters" par exemple) et d'autres moins évidents...
Xavier : Je me suis un peu forcé à rester grand public. Je n'ai pas assumé complètement mes références musicales. Il y en a quand-même pas mal. Le Pink Floyd reflète vraiment l'ambiance que je voulais créer dans ces chapitres. Même dans les paroles. Il y a d'autres titres où j'avais envie de créer une ambiance mais c'est moins ancré. Je trouvais l'expérience intéressante car, j'ai déjà trouvé une faiblesse dans mon écriture, c'est que j'en mets trop dans les descriptions. Ajouter cette musique m'a permis d'en mettre moins. J'ai créé une playlist sur Youtube pour les lecteurs qui voudraient « aller au bout de l'expérience ». J'ai juste glissé un petit Opeth parce que c'était insupportable de ne pas en mettre un. Je me suis restreint parce que je me suis dit que pour le grand public avec des trucs comme Trivium, Opeth, même des choses plus cool comme du Dream Theater, ils allaient arrêter direct. Pour moi, c'était naturel d'écrire en insérant de la musique, car par exemple j'en écoutais beaucoup quand j'étudiais mes cours. Mais je me rends compte que c'est loin d'être naturel pour tout le monde...
Oriza : Tes deux personnages principaux ont un rapport particulier à la musique. Peux-tu développer cet aspect ? Était-ce important pour toi que tes héros soient musiciens ou mélomanes ?
Xavier : Étant donné qu'ils me ressemblent, oui. Je voulais faire le parallèle entre Aaron qui est musicien et Luc qui est juste mélomane. Un mec qui fait de la musique, qui est sensible à ça mais finalement n'en écoute pas tant que ça, et un mec qui en écoute tout le temps mais n'a jamais pris le temps de gratter... Ils sont tous les deux sensibles mais d'une manière différente. Je trouve que le côté très « mélomane mais je n'ai jamais eu le temps ou l'audace de prendre un instrument » accentue le côté brut de pomme de Luc. Ce rapport à la musique, là aussi, était une manière d'afficher le profil psychologique sans m'étaler.
Oriza : Quelles sont tes influences musicales personnelles ? Là je parle plus de ton côté musicien. Quels groupes aimes-tu ? Que joues-tu avec ton groupe?
Xavier : Je fais de la basse et du chant. Chant clair et chant saturé. Je ne joue pas du tout la même chose que ce que j'écoute. Dans le metal j'ai soit des trucs à la rythmique très longiligne et chiants à jouer, soit des trucs trop techniques pour moi. Je joue plutôt du rock, variété rock. J'ai un groupe, un trio, avec lequel nous faisons des reprises des grands standards du rock où là je m'amuse plus grâce à l'échange avec le public que par la musique. Et d'un autre côté j'ai un groupe tribute Pink Floyd. Là c'est le projet qui me plaît. La musique, la mise en scène, la technique, son et lumière... Je ne compose plus. Je trouve que c'est très ingrat : les gens s'en foutent. Pour défendre tes projets il faut vraiment être très investi. C'est très énergivore. Ce côté compo je le trouve dans le tribute Pink Floyd parce qu'on n'a pas composé mais on a arrangé. Dans la musique c'est vraiment l'échange avec l'autre que je vais chercher.
Oriza : Quelles sont tes autres sources d'inspirations pour ce roman ? J'ai senti une ambiance très « comics » par exemple, ou encore une aura inspirée par les arts en général (l'opéra, le festival des lumières, l'architecture, la sculpture LyoNéon)...
Xavier : Déjà mon travail. Je suis kiné, spécialiste de la gestuelle physiologique des musiciens. Je travaille à l'opéra de Lyon notamment, également pour pas mal d'orchestres symphoniques... L'opéra de Lyon je l'ai parcouru en long en large et en travers, de jour comme de nuit (de nuit c'est magnifique). Et donc la scène de l'opéra où Aaron rêve, c'est des moments nocturnes que j'ai vécus dans cet endroit qui est dingue. Les références autres liées à l'art, c'est ma curiosité. J'aime bien les petites anecdotes historiques par-ci par-là. En fait j'aime bien plein de choses mais je ne suis érudit nulle part. Je pioche un peu de partout mais très en surface. À côté de mon métier je lis aussi beaucoup. Je suis un grand fan des débuts de Bernard Werber, de Barjavel, et puis plus moderne tous les Dan Brown quasiment, où il y a ce côté un peu... pas comics, pas bande dessinée, mais une teinte surréaliste. J'étais un grand lecteur de mangas étant gamin.
Oriza : Est-ce que tu écoutes des artistes/albums en particulier lorsque tu écris ?
Xavier : Les Floyd. Wish You Were Here, parce qu'il a des morceaux très atmosphériques et d'autres plus pêchus qui te donnent envie de plus d'action. D'autres trucs aussi, atmosphériques, des musiques de jeux vidéos comme Skyrim avec une ambiance un peu celtique.
Oriza : As-tu écrit dans l'ordre chronologique? Comment travailles-tu (as-tu des rituels, un plan détaillé de ton histoire, des documents de référence...) ?
Xavier : Zéro plan ! C'est une force et à la fois un gros défaut. Quand tu lis mon bouquin, tu peux être sûr que les cinquante pages qui ont suivi je ne savais pas où j'allais. J'avais une idée assez floue de la fin. Mais ce que j'ai aimé c'est qu'au bout d'un moment tes personnages t'échappent. Ils ont leur psychologie, ils ont leur vécu. J'ai laissé évoluer presque les personnages à leur guise. Le côté plan, échafaudage de l'histoire, j'avais du mal à me projeter. J'ai mis presque sept ans à écrire ce bouquin et entre le début et la fin il y a plein de moments dans ma vie où je me suis dit : ici il faut que je fasse ci, que je fasse ça. J'ai eu besoin de ce temps pour avoir à des moments des étincelles. J'ai fini la première version il y a cinq ans. En le relisant j'ai trouvé ça nul, donc j'ai tout repris, j'ai tout réécrit. Et puis j'y suis encore revenu il y a deux ans. Je l'ai repris une troisième fois mais sans trop creuser. Du coup il a des défauts, mais il est sincère. Peut-être un peu trop pour les éditeurs. Mais je ne regrette pas, je ne l'ai pas fait pour moi mais pour l'échange. C'est vraiment moi.
Oriza : Tu as tout fait tout seul et tu as imprimé toi-même cet ouvrage de plus de six-cent-cinquante pages. Je suis admirative de n'avoir trouvé que peu de coquilles. As-tu des bêta-lecteurs ou des personnes qui t'aident à corriger tes textes ?
Xavier : J'ai beaucoup relu mais tout seul tu ne vois pas tout. J'ai une dizaine de bêta-lecteurs chevronnés qui m'ont vraiment beaucoup aidé. J'en ai un par exemple, c'est mon ancien confrère et ami très proche, qui est un taré des accents circonflexes. Il n'y en avait pas un dans mon bouquin. Il m'a fait peut-être cinq-cents corrections d'accents circonflexes. Chacun de mes bêta-lecteurs a des compétences spécifiques et complémentaires.
Oriza : Comment as-tu choisi ton titre ? Ta photo de couverture ?
Xavier : Le titre, ça a été vraiment une galère. Je l'ai choisi parce que j'aime beaucoup les bouquins dans lesquels tu as un titre, tu ne comprends pas du tout pourquoi, et à la fin tu dis « Ah, putain alors c'est ça en fait ! ». C'est pour ça que j'ai choisi ce titre là, ce côté un peu cliffhanger de la fin d'un bouquin. Mais j'aurais aimé faire mieux. Je ne suis pas tout à fait satisfait de son titre. Finalement, un titre qui m'aurait plu, il aurait fait une phrase entière... Une autre idée aurait été « Le Bleu des Chimères »... Mais je n'avais pas beaucoup d'idées. L'artwork est quelque chose que j'ai monté à partir d'images libres de droit. J'aimais beaucoup le parallèle entre l'idée de la forêt, de la nuit, qui pour moi caractérise Luc et ce personnage qui est sous l'eau qui représente Aaron. C'était vraiment au feeling, dans les tons qui me plaisaient.
Oriza : As-tu d'autres projets d'écriture en cours ou simplement au stade de graine dans un coin de ta tête ?
Xavier : Pour moi ce bouquin n'est pas fini. À la fin, quand j'ai vu le nombre de pages où j'en étais, je l'ai arrêté là. Pas de manière artificielle car je suis content de la manière dont ça se termine. Mais bien loin de ce que j'envisageais. La suite est donc bien échafaudée dans ma tête. Là j'ai dix pages qui sont déjà écrites et une partie du scénario. Il y aura donc une suite mais que je veux suffisamment indépendante pour qu'un lecteur puisse arriver là, au deuxième, sans être perdu.
Oriza : Quelle part personnelle de toi dirais-tu que tu as distillée dans Bleu Chimère ?
Xavier : La sensibilité assez prononcée des personnages. Le côté mélomane. Quelques rêves, quelques hallucinations d'Aaron, comme l'épisode de la pelote de laine. C'est aussi ma femme dedans, les gens que j'aime. Plein de petits clins d'œil. Il y a deux flics qui sont des amis très proches. Mon témoin de mariage, le papi de cœur de mes filles, mon entourage, ma petite bagnole... Qui font qu'un lecteur lambda ne va pas deviner mais qui a fait que mes proches ont adoré le lire parce qu'ils ont retrouvé plein de choses. Ma femme m'a beaucoup soutenu. Elle est très importante dans mon inspiration parce que c'est d'abord pour moi, ensuite pour elle et ensuite pour les autres que j'ai écrit.
Oriza : Quelle part occupe le metal dans ta vie personnelle ?
Xavier : La musique metal est omniprésente. J'écoute du metal depuis mes douze ans. J'ai commencé avec Stratovarius. Visions de Stratovarius, premier album de metal. Mais maintenant que j'en ai trente-quatre je suis passé par beaucoup de registres. Beaucoup de sympho-mélodique au début, à vingt ans quand t'es un peu rebelle : beaucoup de trash et énormément de death, et puis là maintenant plutôt du prog assez posé, comme Opeth. Du djent comme Kadinja que je connais personnellement parce que je m'en suis occupé un petit peu. Je suis assez resté dans les années soixante-dix quatre-vingts quand-même. Mais le metal est omni-présent : matin, soir, au boulot. À une époque je faisais des chroniques pour Ultrarock.
Oriza : Peux-tu nous parler un peu de ton métier de kiné et de ta spécialité « gestes et postures du musicien » ?
Xavier : À la base je suis un kiné on ne peut plus traditionnel. Le début de mes études coïncide avec le moment où je me suis mis à la musique. Je trouvais ça super chouette d'essayer d'allier les deux. Ce que j'ai fait tout de suite en début de carrière parce que j'ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes. J'ai eu la chance de travailler très vite dans de très beaux endroits, de beaux festivals, que ce soit dans le metal ou d'autres choses. J'ai travaillé pas mal d'années au Sylak notamment. Dans ce milieu-là, en tant que kiné, l'idée est de travailler sur des problèmes gestuels qui créent des lésions, des tendinites, des douleurs musculaires. Par des petits ajustements gestuels on arrive à régler les problèmes, et mieux, on arrive aussi à améliorer les performances techniques des musiciens en terme de son, de rapidité, de précision. Pour le moment c'est quelque chose qui se faisait essentiellement dans le classique. Dans le metal je connais peu de thérapeutes et donc je suis en train de développer ça. Autant dans le classique, un violoniste, quand tu lui expliques qu'il faut tenir son archet comme-ci comme-ça, ça passe parce que c'est assez cohérent avec les codes du classique. Au Sylak, les premières années quand j'ai bossé avec un des mecs de Benighted et que je lui ai expliqué que pour ne pas avoir mal au dos, sa gratte il faut qu'il la porte « comme ça » alors que lui il l'a là, c'est complétement contradictoire avec les codes du metal. Un moyen d'entrée que j'utilise est le headbanging. Quand j'explique comment bien headbanger pour limiter la casse... C'est assez rigolo d'apprendre à un métalleux comment bien headbanger. Mon métier c'est le travail gestuel autour de la performance du musicien. Il y a beaucoup de choses à faire car il y a peu de littérature. Je travaille par exemple pour le magazine Guitare Xtrême dans lequel j'écris des articles. Je travaille aussi pas mal sur les résidences de groupes, pour préparer les aspects scéniques de la gestuelle, les préparations de tournées, les préproductions d'albums. Cela m'a permis de rencontrer des zicos que je n'aurais jamais rencontrés autrement. Le rapport professionnel d'égal à égal est très intéressant, pas de fan à zicos mais de professionnel à professionnel, c'est très intéressant.