Certains voient en Demanufacture la culmination du talent de Fear Factory. Il est vrai que cet album avait révolutionné son monde, proposant un mariage cyber-métal qui semblait alors totalement contre nature à beaucoup, et faisant preuve d'une maturité et d'un talent qui les avaient fait passer dans la cour des grands. Mais Obsolete, concept-album poussé, va plus loin, et reste à ce jour l'album le plus abouti d'un groupe fondamentalement novateur ayant trouvé, le temps d'un album, le parfait équilibre entre accessibilité et recherche.
C'est la grande qualité d'Obsolete qui, je crois, provoque la colère de ses détracteurs: son côté immédiatement accessible. Chaque titre saute à la gueule, chaque titre est un "tube", et je ne parle pas ici de facilité à deux balles qui fait les singles. Point de répétition de formule ici, il s'agit de trouver LE riff , LA syncope qui tue, de toujours surprendre l'auditeur sans jamais le perdre, en trois mots il s'agit de talent de composition. Je rappelle les composantes de base du groupe: tempos généralement moyens, riffs ultrarapides en salves, doublés sans problème à une vitesse impressionnante par la batterie, alternance de chant hurlé et mélodique, éléments indus et cyber par légères touches (un sample par-ci, une nappe de clavier par-là…), et ambiance générale froide et malsaine. Et bien dans Obsolete, tous ces éléments sont poussés à leur extrême.
Parlons d'abord du chant, qui sera le gros problème de l'album suivant. Burton C. Bell fait ici la part belle à son chant hurlé qui tire sur le thrash/death, avec une agressivité qu'il ne possédait pas sur Demanufacture et qu'il ne retrouvera ni sur Digimortal ni sur Archetype. Il alterne encore avec des passages cristallins en chant clair, et son style très personnel (absence totale de vibrato) passe à merveille avec la musique de son groupe. Mais quand il hurle, il hurle!! Il faut l'entendre se déchirer durant le très violent et rythmiquement déstructuré "Hi-Tech Hate", sur un «cowaaaaaaard!!!» d'anthologie puis enchaîner sur une partie chantée impressionnante pour comprendre. Il n'utilise son chant agressif-mélodique qu'à bon escient (et sans le forcer cette fois-ci) sur les deux compos mélodiques de l'album, "Descent" et "Resurrection", l'une innovante dans l'usage réussi des arpèges, l'autre plus «radio-friendly» mais néanmoins pas mal du tout (et paraît-il excellente en live).
La guitare est maîtresse du jeu, et aligne les riffs assassins et ultra-saccadés, d'une précision absolument diabolique. J'imagine que n'importe quel guitariste parvenant à jouer correctement "Shock" peut s'estimer très content de lui!! La basse suit, et pour peu que l'on dispose d'un système d'amplification correct elle remplit totalement l'espace sonore et rend les riffs encore plus lourds, plus méchants, plus efficaces. La batterie est d'une telle précision qu'elle rend suspicieux (alors, joue-t-il avec des pads ou non?), et le «jeu fear factory», avec la double pédale qui suit la guitare, reste bluffant dans son genre. Enfin bref c'est un groupe de tueurs que nous avons là, et les compos sont très largement à la hauteur.
Inventivité, efficacité, recherche. Dès le deuxième titre, on sent que Fear Factory a décidé de s'aventurer hors des sentiers battus, et avec brio. Le riff syncopé "d'Edgecrusher" est immense, aucun être humain normalement constitué ne pouvant l'écouter sans se mettre à sauter partout. Les éléments électroniques renforcent le côté néo du plan pour un effet jouissif. Et quand le couplet arrive, sur un break de contrebasse (!!), c'est la contemplation. Chaque chanson recèle le détail qui compte, le plan que l'on n'attendait pas et qui scotche… du refrain mélodique de "Securitron" à l'intro ambiancée et martelée de "Freedom Or Fire" en passant par la violence directe du titre "Obsolete", tout y est. On pourrait faire un track by track de cet album, il n'y a rien à balancer, et il réussit de plus à s'inscrire totalement dans la veine de son prédecesseur. La «patte» Fear Factory est là et bien là, une seconde d'écoute suffit pour savoir où l'on est, c'est juste plus heavy, plus mélodique, plus travaillé qu'avant.
C'est donc une réussite à tous les niveaux: chaque chanson est pensée, construite individuellement, et ensemble elles composent un album à la fois varié et d'une grande cohérence artistique. La production signée Rhys Fulber y est pour beaucoup: le son est énorme, le mix est parfait, et les divers bruitages viennent s'intégrer à la masse sonore pour créer un mur sans faille. Le final de l'album est à la hauteur du reste, avec "Timelessness", littéralement une bande originale de fin de film. La voix de Bell accompagnée d'une section à cordes fait mouche, générant une mélancolie palpable. De l'histoire -vu qu'il s'agit d'un concept-album- je ne vous dirai rien, mais sachez qu'il s'agit d'anticipation (c'est l'homme qui est obsolète…), qu'elle tient la route et qu'elle est résumée par un superbe livret nous faisant comprendre que chacune des chansons illustre une scène précise.
Là est peut-être la clé de cet album, le fil conducteur qui en fait un album d'exception. Car je serai peut-être le seul à le dire et à le soutenir mordicus, mais Obsolete est le meilleur album de Fear Factory, et le restera pour moi jusqu'à nouvel ordre. Peut-être un jour sera-t-il reconnu comme un grand album de métal tout court…