On savait qu'ils étaient bons. On savait qu'ils étaient très bons sur scène. On savait que Reuno avait une sacrée voix, et qu'il était capable de pondre de bons textes. Mais là, honnêtement, juste un an après le premier album, on ne s'attendait pas à ça. Ça nous a pris par surprise et ça nous a donné du bonheur. C'est marrant comme un bruit se répand vite : «le nouveau Lofo est énorme», entendait-on çà et là... Et on a finalement mis la main dessus, et là on est restés comme deux ronds de flan. Cette claque. Un groupe français peut sonner comme ça ? Mais, mais... le nouveau Lofo est énorme ! Il faut le dire aux gens ! Et c'est ainsi que Lofo est devint un groupe culte. Chronique d'un classique.
On peut dire qu'on a senti dès le début que le groupe ne rigolait plus. Une déferlante, ça s'appelle. Le premier titre de cet album est un des tous meilleurs que Lofo ait jamais fait, une enquillade de riffs hardcore-thrash d'une dynamique impressionnante. Ça te saute littéralement à la face. Le chant est haineux et tape juste. Le son est lourd, la guitare plus grosse, c'est indéniablement du méchant. Tiens, le groupe insuffle des samples parlés, et ça cogne. Et les breaks se succèdent, donnant parfois dans le métal parfois dans le hardcore, repartant, c'est à la limite du prog... Non, C'EST prog. Après une intro et une partie chantée déjà bien violentes et recherchées, toute la deuxième moitié du titre est un instrumental incroyable, tour à tour violent et groovy... La vache ! La géniale coupure arabisante du nouveau guitariste Farid, les riffs thrash/death supersoniques, la batterie complètement déstructurée et virtuose, ce titre n'est pas normal. Ça s'appelle "Jazz Trash Assassin", et c'est ENORME. Lofo n'a plus jamais refait de titre comme ça ensuite, et ce titre valait un paragraphe à lui tout seul.
C'est un cas officiel de "pan dans les dents", le genre d'intro qu'on ne peut pas voir venir et qui suffit à se dire "wow" (pour résumer). En tout cas, une chose est sûre, le son n'est plus le même. La guitare est délicieusement grasse, beaucoup plus que sur le premier album, et ledit Farid sait pondre des riffs assez vicelards avec un toucher vraiment spécial. Toujours cette basse ronflante et exemplaire de groove ("Mental Urbain" ! Et son break !), et le tout sonne plus pro, plus massif, plus mieux. Pour la musique en général, on peut dire que le propos s'est resserré. Lofo a fortement durci le ton et laissé tomber en grande partie la part du funky-groovy-ragga et orienté la part du hardcore, du thrash et du métal. Le titre "La Chute" est construit sur un énorme riff de seize mesures sur lequel Reuno parvient à poser un chant très efficace. On retrouve le punk dans le jouissif "Bon A Rien", petit délire bien brutal et marrant. En général on peut dire que Peuh! est un album de métal-hardcore violent et haineux, moins varié que le premier mais diablement plus puissant. La dose de groove est toujours assurée par la basse qui slappe, mais pour le reste ça riffe et ça crie. Et ça assure très fort dans les deux domaines.
Bon, vous voulez un titre culte ? "Amnes'histoy". Excusez-moi si je vous semble un poil excessif, mais cette chanson place pour moi Reuno dans le rang des auteurs-compositeurs-interprètes français réellement talentueux, ceux qui passent chez Drucker et tout. Cette compo rap-hardcore dans laquelle Reuno impressionne de justesse dans son texte comme dans son flow (sur une instru frôlant la notion de perfection) laisse la place à des parties violentes dans lesquels le chanteur lâche des hurlements qui laissent assez contemplatif. Quels progrès! Ce type est un authentique chanteur/hurleur, un qui a de la technique et qui sait ce qu'il fait avec sa voix. Quand il se lâche il arrive à un registre proche du thrash/death qui porte indéniablement sa signature, et il a laissé son empreinte sur un nombre impressionnant de chanteurs métal français actuels. Et le propos: c'est un véritable brulôt, un texte d'avertissement très écrit et littéraire. Un autre ? "Macho Blues". Ce titre a quelque chose de terrifiant, à raison vue la situation de base : un père violeur incestueux s'adresse à sa fille, sa chose, son esclave. Et là Reuno fait passer une théâtralité malsaine dans son chant hurlé qui colle réellement froid dans le dos. Le riff ternaire est lui-même lascif, Farid faisant couiner exprès sa guitare pour un résultat vraiment déstabilisant. Et le refrain... Je vous laisse la joie de le découvrir par vous-même. Un très grand titre.
Les textes restent engagés et diaboliquement justes et les compos sont violentes, groovy, et bien construites. "Intox Populi", "Arraché" et ses breaks punk, groovy et métal... j'en passe, toutes réussies Les riffs ont parfois une petite touche orientale à peine perceptible mais très efficace dans ce style (System Of A Down l'a prouvé par la suite). La reprise finale de "Vive le Feu" est devenue un classique de chez classique. "Vice Et Râle" est un délice de texte érotique sur une compo jumpy et irresistible dans laquelle Reuno se fait fort pertinemment plaisir («Mangeons le fruit jusqu'au défendu!») et à nous aussi, dis donc. Donc vraiment pas grand-chose à jeter dans cet album dont tous les titres sont au moins très bons, et parfois énormes. Dans "Le Pendu", Reuno refait un portrait de loser qui en arrive aux pires extrémités comme dans "Elvis", mais avec moins de talent que dans ce titre, justement, me semble-t-il. Et c'est tout! C'est le seul réel reproche que je trouve à faire à cet album qui en plus se clôt sur une touche d'ambiance pure et aérienne que je vous laisse découvrir. Farid y prouve qu'à part être une exemplaire machine à riffs il possède une sensibilité et un jeu...
Lofofora a sorti un des meilleurs albums de l'histoire du métal français avec Peuh!, et une fois que j'ai dit ça je pense qu'on a fait le tour de la question. Toi acheter disque.