La nécromancie. Fascinant, non ? Le pouvoir de communiquer avec les défunts, voire de leur redonner vie. Ça a de quoi faire rêver... ou cauchemarder, c'est selon. En cette fin d'année, c'est le label Metalville qui s'adonne à cet art occulte, en ressuscitant un petit garçon du nom de Joe. Dix-huit ans se sont écoulés depuis son décès, et le voilà qui revient d'entre les morts. Putride, rongé par la vermine, mais toujours casquette à l'envers, doigts d'honneur en avant. Et toujours aussi en forme ? C'est ce qu'on va essayer de voir...
Il y avait quelques années que l'on en avait entendu parler, de cette reformation. Vers 2011, dans ces eaux-là. Une rumeur par-ci, une information floue par-là. Vague excitation, puis, faute de concret, retour à l'indifférence. On y pense et on oublie, c'est la vie c'est la vie. Et puis, paf, tout d'un coup, sans crier gare, le voilà. Le quatrième album d'Ugly Kid Joe. Comme il y a de fortes chances pour que ce nom ne vous dise rien, ou tout au plus pas grand-chose, un mini rappel. UKJ était un petit quatuor de hard rock / heavy metal ricain, qui a connu un grand succès au début des années 90 avec l'EP As Ugly As They Wanna Be et leur premier album America's Least Wanted. UKJ, c'était surtout un énorme tube ensoleillé : "Everything About You", et son clip délirant qui passait sur MTV. Puis, c'est l'oubli progressif, malgré deux albums supplémentaires ("Menace to Sobriety" en 1995 et "Motel California" en 1996), jusqu'au split fatal, en 1997.
Et voilà que les garnements sont de retour. Et sans changement de line-up depuis dix-huit ans. Bah merde alors. Pas évident de trouver un angle d'attaque pour parler d'Uglier Than They Used Ta Be. Par bien des aspects, cet album a quelque chose d'émouvant. Dans sa démarche. Dans cette volonté de continuer à écrire de la musique, à composer des riffs, envers et contre tout, juste par amour de son art. Peu importe que dix-huit ans se soient passés, que le succès soit derrière lui, le groupe veut simplement continuer à jouer du heavy metal comme il l'a toujours fait, par pur amour de son art. Et puis, il y a ce désir, finalement si humain, de ne pas être oublié, de retrouver l'amour et la reconnaissance des fans. Tout, dans ce quatrième album, fait un clin d’œil appuyé au passé : titre et pochette en référence directe au tout premier EP de 1991.
Musicalement aussi, l'album regarde droit dans le rétroviseur. Uglier Than They Used Ta Be sonne comme un America's Least Wanted, les cheveux gris et la patine du temps en plus. On a comme l'impression que Ugly Kid Joe aimerait que rien n'ait changé, qu'on soit toujours dans les nineties, que le style baggy fasse encore fureur et que MTV diffuse de la musique de qualité. Manque de bol pour eux, nous sommes presque en 2016, on ne peut plus aller à un concert de rock sans risquer de se manger de la chevrotine et Maître Gims est au sommet des charts. Hé oui, malgré les meilleures intentions du monde et toute la bonne volonté de l'univers, c'est toujours plus difficile de faire des couillonades à 47 ans qu'à 25.
Du coup, l'album sonne un peu forcé. Ugly Kid Joe enchaîne les riffs, les refrains accrocheurs, mélange tout ça avec une énergie potache, tout en essayant de retrouver ce fond de légèreté et d'insouciance qui rendait sa musique si irrésistible. Mais le temps a passé et tout ça ne sonne plus aussi juste qu'avant. Du côté de l'auditeur, c'est le même phénomène qui se produit : on aimerait aimer ces morceaux tout mignons et composés avec soin, comme on a aimé les groupes de nos premiers émois musicaux. Mais pour nous aussi, les années ont passé, des dizaines d'albums nous sont passés dans les oreilles, nous avons amplement eu le temps de forger notre propre panthéon metallique. Et Uglier Than They Used Ta Be n'est hélas qu'un album sympa, sans plus.
Et c'est rageant car on sent que le groupe y met du sien : "Hell Ain't Hard To Find" fait tout pour mettre l'auditeur à l'aise, avec ce riff costaud, parfait à écouter en bagnole. "Let The Record Play" sonne comme du stoner allégé et à l'accroche garantie. Le groupe a également pensé à semer, avec intelligence, quelques respirations dans son album. A l'exercice de la ballade, Ugly Kid Joe s'en sort bien. "Mirror of the Man", pétillante ; "Nothing Ever Changes" dans un registre plus déprimant. "The Enemy" est aussi à ranger du côté des réussites de l'album. Un long morceau tout en nonchalance, très proche de ce qu'on pouvait retrouver sur le premier album, jusqu'à cette dernière minute ultra heavy pleine d'adrénaline. "She's Already Gone" dégaine le meilleur riff de l'album et permet de se dérouiller les cervicales.
Malgré ses qualités, l'album est peu marquant, presque jetable. Du heavy sympa, pas mal composé, pas dénué de patate, mais oublié presque aussitôt qu'écouté. La reprise d' "Ace Of Spades" de vous-savez-qui (et si vous-ne-savez-pas-qui, votre culture metallique laisse à désirer) est très scolaire et transparente. "Bad Seed", "Under the Bottom" - malgré un joli moment de lyrisme guitaristique sur ce dernier - autant de titres qui permettent de passer un bon moment, mais sans cette insolence, sans cet exquis goût de reviens-y des débuts. Y'a pas à dire, le temps est vraiment un enculé.