The Haunted fait partie du décor de la scène melodeath depuis pas loin de vingt ans désormais. Fondé par trois membres démissionnaires des indépassables At The Gates en 1997, le combo suédois n’est jamais véritablement parvenu à atteindre le niveau de reconnaissance des précités, ni celui d’un In Flames ou d’un Dark Tranquility. La faute notamment à pas mal d’albums en demi-teinte car jugés trop expérimentaux et prétentieux (Unseen, The Dead Eye), ou trop classiques au contraire (l'assez moyen Versus, et Exit Wounds, plutôt correct au demeurant). Pourtant, The Haunted a également sorti quelques pures pépites, qui méritent d’être célébrées dans ces pages. On pense à l’excellent One Kill Wonder, dans un style thrash/death mélo inattaquable, mais à mon humble avis, l’album le plus marquant des suédois est, et de très très loin, l’immense, le monstrueux, le fantastique rEVOLVEr, dont je vais aujourd’hui-vous conter les multiples bienfaits avec un immense plaisir, tant cet album m’a profondément fait kiffer, voire marqué à vie.
Dès le titre de l’album, tout est dit : la typographie choisie par le groupe indique clairement une velléité d’évolution, et le moins que l’on puisse dire c’est que le pari sera relevé, et haut la main. Sur rEVOLVEr, The Haunted ne se contente pas de sortir un excellent album de melodeath, oh non. Il sort tout simplement un parfait melting-pot de métal moderne aux influences diverses, traçant un salutaire trait d’union entre tradition et sonorités extrêmes plus actuelles. Commençant par ramener le thrash des 80’s au top de la hype sur ''No Compromise'', ''Sabotage'' ou encore ''Sweet Relief'' (voire sur le très bourrin ''Smut King''), The Haunted marie dans le même temps le mélodeath le plus orthodoxe à de gros mid-tempo dévastateurs, d’obédience power/thrash, sur l’énorme tube ''99'' ou encore sur ''All Against All'' et son refrain de stade, ainsi que sur ''Liquid Burns''... Mais The Haunted ne s’arrête pas là, que nenni ! Sans crier gare, les suédois se mettent à artiller de brillantes saillies punk-hardcore à mi-album : ''Who will Decide'' et son break de fin en spoken-words qui vous brisera proprement la nuque (ce morceau, enregistré avec Lou Koller de Sick Of It All en guest, figure parmi les meilleurs mollards hardcore jamais crachés à la face du monde), ''Nothing Right'' et son riff principal incroyable, ''Sabotage'' (sur le refrain), ''Fire Alive''...Trouvez-moi un seul autre groupe de melodeath qui était capable de balancer un truc pareil en 2004. Et si vous croyez que c’est terminé, mais touchez-vous ! Pas encore satisfait de cet alliage de pourtant fort belle tenue, The Haunted invite aussi à la fête des éléments plus ambiancés rappelant les « ballades » funèbres d’un Slayer ou d’un Pantera de la grande époque : ''Abysmal'', qui pue le ''Dead Skin Mask'' à cent bornes, ''Burnt To A Shell'' et son feeling quasi-texan/métal sudiste, ''My Shadow''… Bref, les suédois sont ici pris en flagrant délit d’inspiration pathologique, ils lâchent complètement les chevaux, et le résultat est une des branlées les plus libératrices de la scène melodeath au sens large, et tout simplement un des albums les plus intéressants de la décennie 2000-2010. Rien que ça ouais.
A présent que l'on a planté le décor et jeté les lauriers, comment expliquer un tel monument de la part d’un groupe généralement abonné aux places d’honneur mais jamais vraiment parvenu au sommet du podium (sauf sur cet album bien entendu) ? Deux raisons majeures à ce dithyrambe peuvent être avancées, se révélant avec plus ou moins d’évidence au cours de ce voyage au cœur de l’un des tous meilleurs albums de 2004. La première tient en un nom : Peter Dolving. L’extravagant voire un peu ingérable frontman « principal » de The Haunted (il a partagé ce rôle avec Marco Aro, présent sur l’excellent One Kill Wonder et actuel chanteur du groupe) délivre, sur cet album, une performance absolument hallucinante de qualité, de versatilité et d’honnêteté. Rarement avait-on entendu, dans un groupe de melodeath, un mec envoyer autant de types de chants différents, le tout avec une maitrise aussi affirmée et un talent qui transpire par tous les pores de tous les morceaux de cet opus. Sur rEVOLVEr, le bonhomme lâche tout, ses hurlements typé hardcore/metalcore transperçant l’auditeur avec puissance et variété (ces tenues de notes, ces modulations, putain), son chant clair/crié voire même parfois susurré tombant juste à tous les coups (oui, du chant clair sur un album de melodeath), ses spoken words venimeux habillant les morceaux les plus « calmes » d’une ambiance incomparable... Ajoutez à cela des lyrics carrément politisés (encore une fois une vraie curiosité sur un album de melodeath) sur les pistes les plus coreuses, et vous obtenez une des performances vocales les plus géniales de l’année. Il ne parviendra d’ailleurs jamais à la réitérer complètement sur les albums suivants, pas plus qu’il n’y était parvenu dans son groupe précédent, le pourtant excellent et injustement oublié Mary Beats Jane. Le garçon semble désormais un peu perdu pour la cause depuis son deuxième départ fracassant de The Haunted en 2012 (à l’exception du très bon EP de Rosvo et d’un travail en cours avec Scott Reeder), mais qui sait, avec de tels artistes, on est jamais à l’abri d’un comeback fulgurant. Il n’en reste pas moins qu’en comparaison, le pourtant très honnête mais un peu limité Marco Aro fait assez pâle figure (mais il a pour lui de ne pas être aussi lunatique et arrogant, et d’évoluer dans un style bien plus typique, que Dolving).
La seconde raison tient, bien entendu, à l’immense qualité des compositions de rEVOLVEr, ciselées par les frangins Björler et par Patrick Jensen, tous trois au sommet de leur art et de leur inspiration. Ce choix conscient et annoncé de faire évoluer le groupe vers d’autres sphères que celles du carcan death mélo a transporté les compos de cet opus dans une autre dimension : celle de la putain de créativité irréfrénée. Car parvenir à proposer un contenu aussi varié tout en conservant une telle identité et un tel sentiment d’homogénéité est un vrai tour de force dont peu de groupes peuvent se targuer. Cela tient bien sûr à la production parfaite de Fredrik Nordström, qui mériterait au passage tout autant de lauriers que l’ultra-célébré Tue Madsen, responsable de véritables merveilles il est vrai, comme de productions tout à fait dégueulasses (coucou le troisième Dagoba). La production donc, mais pas seulement. L'immense qualité de cet album tient aussi et surtout à une collection de riffs et de plans tous plus dantesques les uns que les autres : citons la totalité de ''Nothing Right'', le refrain terrassant de ''All Against All'', celui de ''99'', un des plus grands tubes du groupe, le feeling des séquences calmes de ''Abysmal'', le break massif de ''Who Will Decide'', et bien d’autres encore... A l’auditeur de les découvrir. Chaque morceau, sans jamais proposer de soli ultra-techniques (et c'est très bien comme ça), recèle pépites, trouvailles et autres surprises qui vous rentreront dans la tête et vous accompagneront pendant longtemps, du moins on vous le souhaite. La section rythmique n’est pas en reste, avec une basse parfaitement audible et surtout très inspirée, et une batterie qui maitrise à merveille les nombreux styles précités, ce qui constitue un joli petit coup de maitre de la part de Për Moller Jensen, que l'on imaginait pas aussi brillant (un constat qui s’applique à la totalité des membres du groupe). Bref, l’équation en fin d’analyse s’avère simple à résoudre : un chanteur stratosphérique + des musiciens au sommet + une velléité d’évolution assumée et parfaitement maitrisée = un lourd chef d’œuvre, véritablement à part, non seulement dans la discographie de The Haunted, mais plus généralement dans la cosmogonie du death mélo au sens large.
Qu’un groupe jamais vraiment considéré comme la crème de la crème du style soit parvenu à sortir un tel OVNI fut en 2004 une biffle géante pour votre serviteur et pour, je le crois, des milliers de fans à travers le monde. En conclusion, achevons le tableau avec le seul point négatif de cet album : la déception ne fut que plus terrible lorsque, les unes après les autres, les sorties suivantes de The Haunted échouèrent systématiquement à s’approcher ne serait-ce qu’un peu de l’astre brillant que représentera toujours rEVOLVEr dans leur parcours. Aujourd’hui retourné à une relative forme d’anonymat au sein de la scène melodeath (notamment éclipsé par le retour en forme de Soilwork, la reformation d’At The Gates, et l’occurrence d’In Flames dans le monde du mainstream toutes sirènes pompières dehors), les mecs de The Haunted pourront quand même se dire, en se retournant sur leur carrière, qu’ils auront à jamais marqué, et même transcendé leur style, le temps d’un album en état de grâce. Ce qui est déjà quelque chose d’assez fabuleux en soi.