Après quelques albums en demi-teinte, les Norvégiens de Borknagar avaient su redresser la barre en 2012. Quatre ans plus tard, comme pour fêter ses vingt ans de carrière, le groupe propose Winter Thrice, son dixième album. Même si la formation bénéficie d’un capital sympathie important du fait d’une discographie de qualité, elle se doit de garder le cap et de ne pas retomber dans les travers du « progressif » à outrance.
Borknagar a su se faire un nom à la fin des années 90 en proposant à un black symphonique dont il s’est bien éloigné depuis, au profit d’un metal plus progressif tout en conservant ses racines sombres. Si l’effectif s’est modifié à tous les postes, autour du guitariste et maître à penser Øystein G. Brun, le changement de line-up le plus visible et le plus marquant a concerné le chant. En effet, se sont succédés au micro, excusez du peu, Garm (ex Ulver, ex-Arcturus), Vortex (ex-Arcturus, ex-Dimmu Borgir) et Vintersorg, dont les noms parlent forcément à qui connaît un peu la scène. Les deux derniers notamment cohabitent depuis 2010. L’annonce du retour de Garm avait de quoi faire saliver les fans (et les plus critiques parleront sans doute d’un coup de pub), tant celui-ci occupe une place importante dans le cœur de bon nombre d’amateurs des groupes sus-nommés. Il fallait par contre s’en douter, son retour ne se fait pas en lieu et place des vocalistes actifs du groupe. Il ne vient qu’à titre de guest et n’intervient que sur le morceau éponyme et sur "Terminus" qui, comme son nom l’indique, clôt l’ensemble. Son ton grandiloquent rappelle les premières heures d’Arcturus, tout en restant bien plus sage. Il est cependant probable que sa présence tienne plus à la nostalgie et au plaisir des musiciens de rejouer ensemble qu’à la réelle valeur ajoutée de son « retour ». Pour le reste, les chanteurs se succèdent et se complètent tout au long des huit pistes. Humblement, à moins d’être un spécialiste et un audiophile convaincu, difficile de vraiment différencier les multiples intervenants. Si Vintersorg est le seul à officier dans le registre « méchant agrougrou », compliqué de dire qui de lui, de Lazare ou de Vortex se charge du reste selon les morceaux, les trois étant crédités au chant clair. Dommage surtout pour le dernier nommé, tant les interventions manquent de l’emphase et de la puissance qui le caractérisaient à ses grandes heures dans le groupe ou son cousin maléfique Dimmu Borgir. Mais le fait est que les parties vocales sont maîtrisées, homogènes avec des chœurs classieux, et parfaitement adaptées à la musique proposée.
Qu’en est-il de cette fameuse musique, d’ailleurs? On est face à un metal extrême qui tire ses racines dans le black symphonique (comme dit précédemment), mais qui, à l’image d’un autre de ses cousins, Enslaved, a évolué et s’est enrichi, en complexifiant les structures et en entremêlant les influences. Borknagar possède désormais un son qui lui est propre. Et si les expérimentations musicales de la bande ont pu perdre en efficacité et, disons-le franchement, en intérêt au milieu des années 2000, Urd avait visé plus juste grâce à des morceaux plus directs et moins artificiellement alambiqués. Sur Winter Thrice, les Norvégiens offrent une musique aux relents progressifs et aux orchestrations toujours au premier plan, conférant parfois à l’ensemble une touche 70’s. Le tempo est plutôt modéré voire lent, les rythmiques assez lourdes, laissant le temps à l’auditeur de s’imprégner de la richesse de chaque morceau. Les chanteurs et les musiciens nous racontent des histoires, nous décrivent des paysages, des expériences, et cherchent à immerger l’auditeur dans la nature froide et glacée qu’ils décrivent à chaque titre. Le caractère froid est d’ailleurs étonnamment contrebalancé par la chaleur des voix et des ambiances, à l’image du clip du morceau-titre, qui correspond parfaitement à l’atmosphère générale: « dehors il fait froid et c’est beau, et on vous en parle à l’intérieur, bien au chaud au coin du feu ». Le principal point négatif, c’est qu’au final, quand on est confortablement installé devant la cheminée, on peut finir par s’endormir. Et c’est parfois ce qui guette l’auditeur pendant le voyage que propose Borknagar sur les huit pistes que comporte l’album. Malgré des morceaux plutôt courts et de grandes qualités musicales et vocales, on est en territoire connu. Et après que "The Rhymes Of The Mountain", "Winter Thrice" et "Cold Runs The River" aient posé les bases, le reste est sur le même modèle, suit la même routine. L’album est bon, parfois très bon, mais manque un peu de folie et parfois d’un peu d’énergie. Certains (beaucoup probablement) auront sans doute envie de relancer l’écoute pour prolonger le voyage, mais certains pourraient se lasser assez rapidement.
Winter Thrice est donc un bon cru de Borknagar, sincère, chaleureux et très agréable à l’écoute. Le propos est concis, les idées claires, les atmosphères riches et le chant souvent magnifique. Mais l’auditeur fidèle, s’il sera content de découvrir un nouvel album des Norvégiens, sera peut-être déçu de n’écouter qu’un album de plus, qui n’offre au final que peu de nouveautés et de surprises, malgré ses qualités indéniables.