Un requiem, à l'origine, est une messe catholique, consacrée au souvenir des âmes conduites au repos éternel. Un instant dédié, où plane la nostalgie, une certaine ferveur, mais aussi et surtout où s'élève un appel à une profonde réflexion sur le sens de la vie et celui de la mort, et par conséquent au sens de notre Être. Nous n'avons que si peu de temps et de volonté à consacrer à ces interrogations qui nous dépassent et nous plongent dans les doutes, voire la peur. Ce fut plus tard le nom donné aux compositions musicales classiques de nature liturgique. Des pièces créées pour accompagner, voire sublimer ces instants douloureux où nous recherchons quelque réponse à l'intérieur de nous même. Sans doute, avons-nous tous à l'esprit ne serait-ce que les fragments de l'une ou l'autre des ces orchestrations superbes dont la teneur soulève l'émoi avec grandiloquence. Rares sont aujourd'hui encore les requiems. Et pourtant, voici que Mono signe Requiem for Hell.
Les deux premiers « chants » que nous découvrons, ne nous sont pas inconnus. Nous avons d'ores et déjà décrit un certain voyage Transcendental qu'ils nous avaient offert par le passé. "Death and Rebirth" se scinde à présent en deux. Le premier morceau introduit l'œuvre nouvelle par cette incomparable et saisissante montée en puissance. Il était impossible de l'oublier. Cette allégorie de l'instant fulgurant où l'âme se détache du corps et s'élance avec puissance. Mais où devait elle se rendre ? "Death and Rebirth" reste désormais en suspens et se fend de "Stellar". Celle que nous avions prise naguère pour un simple épilogue fluide, cristallin, destiné à nous apaiser, est aujourd'hui devenu tableau à part entière. Un tableau d'une troublante sérénité si l'on s'en tient à ce qui va suivre. Car la quiétude qui émane de "Stellar" n'est même que de courte durée. Dès à présent intervient "Requiem for Hell", dont la tristesse s'insinue immédiatement dans nos veines. L'étrangeté de ce « chant » étant que dès les premières notes, il nous apparaît comme incroyablement familier, intime, comme si de toujours il nous appartenait. Fragiles et puissantes tout à la fois, les émotions poignantes qu'il dépeint à travers ses notes gracieuses et d'une précision sans faille aucune, éclatent avec évidence au fil de l'écoute. Sorte de petit bourgeon chétif niché au fond de nous même qui s'entrouvre et croît progressivement dans nos poitrines pour prendre toute la place, au point de suspendre tout mouvement même de l'air ambiant, nous laissant dans un état hébété, totalement pénétré et fasciné par la musique. Ainsi possédés, Mono nous entraîne alors peu peu vers un déluge noise. Que se passe-t-il ? Quel est ce monde soudain si chaotique, si bourdonnant, si tourmenté ? Nous nous retrouvons progressivement plongés au cœur d'un magma à la fois insensé et pourtant parfaitement maîtrisé, l'esprit haché menu de saccades brutales et de sonorités torturées. Un tableau de douleur et de noirceur qui nous fait entrevoir que Mono ne cherche plus seulement à brosser une musique contemplative, mais bel et bien une trame investie vers l'émotion humaine, créatrice de réflexion.
Alors le cœur battant de l'album, "Ely's Heartbeat", vient se poser sur nos esprits secoués et pantois, et tendrement nous cueille pour nous consoler, nous éclairer, nous conduire vers un espace délicieusement éthéré. Le « chant » cette fois-ci nous offre de percevoir un pouls humain qui résonne bel et bien au travers de sa rythmique, celui d'un petit enfant nommé Ely, symbole de fraîcheur et d'espérance, mais aussi marque douce d'amitié, d'altérité, portée par le truchement de la musique vers d'autres personnes. S'ouvre alors enfin, la dernière scène, que je finirai de qualifier de sidérale, et qui s'offre à nous comme une libération complète de l'esprit et des sens... Beaucoup se diront surpris de ce changement de ton brutal. Mais pouvons nous réellement nous dire troublés que Mono nous emporte ainsi, passé le tumulte qui a précédé, dans ce vent onirique ? Il y a certes là déjà une patte bien connue du collectif, mais il est surtout un dessein précis. La composition de Requiem for Hell n'est pas hasardeuse. Elle prend son inspiration du chef d'œuvre qu'est la Divine Comédie de Dante et donc de ses trois cantiques dédiés au Paradis, au Purgatoire et à L'Enfer. Le choix de la Rosa Céleste de Gustave Doré, mettant en scène Dante et Béatrice contemplant le Paradis, pour illustrer ici l'œuvre de Mono n'étant qu'une démonstration des plus flagrantes de cette source d'inspiration et du souci de nos artistes de délivrer une musique toujours plus riche de sens et de valeur(s). "Death And Rebirth" serait-il alors ce chant introductif qui décrit la perdition de l'âme humaine ? "Stellar", "Requiem for Hell" et "Ely's Heartbeat" seraient-ils alors les allégories des trois univers auquels l'homme serait destiné de part ses actions ou bienveillantes ou chaotiques ? Retrouvons-nous dès à présent dans ces notes le tumulte de nos réflexions humaines sur les péchés et les grâces ? Les défauts et la perfection ? Le tourment et la quiétude ? Le désespoir et les étoiles ? Le chant final serait-il enfin la réflexion sur cet ensemble, alors que nous sommes juste au milieu de tout, déjà expérimentés mais encore en constante construction, en devenir de quelque chose ? J'ai parlé de chants, car ici la musique se fait narration, à l'image des chants qui composaient cette pièce si particulière qu'est la Divine Comédie. Et bien qu'aucune voix ne s'élève à aucun instant pour nous guider dans la musique de Mono, celle-ci révèle une voix qui délivre sa propre conception de la vie et de la mort. Et que nous écoutons.
La musique de Mono vise toujours à toucher l'être. Ses compositeurs, inspirés d'une philosophie de vie tournée vers la bienveillance, manifestent dans cette nouvelle création, une fois encore ce souci : poser sur notre route une musique dont nous pouvons nous saisir pour nous-mêmes, qui nous émeut, nous ébranle parfois même, qui nous pousse à cesser un instant ce que nous faisons et à contempler, songer, rêver, penser, aspirer, devenir... Comprendre peut-être même.
Un authentique requiem.