« L'espace d'une vie est le même que l'on passe en chantant ou en pleurant »
Figurez-vous une structure sur laquelle vous n'oseriez croire pouvoir poser un pied sans risque de sombrer. Quelque chose de sublime à observer mais qui, a priori, ne devait pas vous apporter d'avantage qu'un simple regard touché par la beauté du paysage. La surface de l'océan par exemple. Oui, vous allez me trouver bien cliché. Mais rien ne pourrait vous sembler plus improbable que fouler l'eau, n'est-ce pas ? Cependant, à vous laisser bercer par des sonorités sublimes, croyez-moi, non seulement vous allez poser votre pied sur la surface bleue sans consistance réelle, mais plus encore, vous allez avancer, puis courir, à grandes enjambées, de plus en plus vite, à mesure que le rythme de la musique va s'accélérer, jusqu'au point de sentir tout votre corps brûler, vos muscles se contracter à l'extrême ; et lorsque vos sens finiront par atteindre le seuil et lâcheront prise dans une explosion phénoménale, que vous vous sentirez éperdus face à toute la beauté de l'univers qui vous entourera, que vous saisirez l'instant surréaliste que vous atteindrez, un stade quasi insupportable, un apaisement vous sera enfin brièvement offert en tribu de votre passion. Voici la sensation initiale que peut produire l'écoute de "Death and Reverse". Je ne saurais donner des détails techniques qui me semblent si froids et terre à terre pour vous décrire la sublime et stupéfiante montée en puissance que sait si divinement orchestrer Mono, toute la grâce qui filtre dans ce qui ne serait à la base qu'un simple enchainement de notes alignées, mais avec un talent sans conteste. Je lui préfère cette image. Écoutez et laissez vous guider par vos sens, ils seront plus éloquents que n'importe quel langage.
Mais ne croyez pas que le silence qui vous sera imposé alors et que vous accueillerez avec douleur, va persister et vous laisser le cœur gros. Débutera "The Quiet Observer". Alors vous ne serez plus amenés à avancer d'une seule traite de manière totalement hébétée, mais vous allez vous sentir torturés, vos émotions seront tel un petit jouet fragile que l'on se passe de mains en mains, que l'on malmène ou dont on prend soin selon les instants, vous allez vous sentir pris entre le feu de mille émotions et vous en trouver délicieusement accablés. Ce sera d'abord un vague sentiment de légèreté, porté par des notes de piano classieuses et douces qui vous réconforteront, contrasteront même assez brutalement avec ce que vous venez d'entendre. Un archer habile viendra se joindre à la danse, doucement d'abord, puis, sans que vous ne le sentiez venir, accélérant le rythme, progressivement, pour soudain ouvrir la porte à une pesanteur magnifique, Dame guitare se mettant en scène pour vous serrer le cœur et recouvrir votre corps de frissons. Ce qui était légèreté deviendra sombre, merveilleusement sombre. Une fois encore, vous vous rendrez compte que vous êtes le jouet d'une montée en puissance, plus lente, moins immédiate certes, mais oh combien délicieuse. The Ocean naviguera alors un temps entre ces deux états, légèreté et pesanteur, offrant respirations et oppressions, puis laissera la guitare s'exprimer avec fougue un instant, déchirement même. Un murmure, et le mur d'oppression vous accablera à nouveau, vous emportera vers une dernière note enlevée, à la limite de l'exotisme et vous abandonnera enfin, totalement pantois.
Mais nous aurions pu aussi exploiter une image plus simple et immédiate pour décrire tout ceci. Ce sublime artwork qui entoure l'effort de nos tourmenteurs. Voyez ici, des chimères venues d'Asie, grimaçantes et effrayantes, au centre desquelles se place un enfant, totalement indifférent au tumulte rageur qui l'entoure, tout occupé qu'il est à observer la créature gracieuse et bien plus fragile que lui, posée délicatement sur son poignet : un papillon. Cette indifférence et cette apparence seulement de fragilité sont éloquentes à elles seules. Rien n'est en vérité fragile dans cet EP, et tout n'est que grâce. Et cette grâce nous touche et nous traverse, dans le flot puissant de sensations qui se déversent en nous lors de l'écoute de Transcendental. Quel est donc le but recherché de cet EP ? Figurer cet instant où l'âme se détache du corps pour s'élever vers le Nirvana, passé les tourments de la mort. Cet instant que nous avons tous fantasmé un jour de manière plus ou moins onirique, de manière plus ou moins pieuse, de manière plus ou moins tangible. À chacun son image. Et, dans l'absolu, soyons fous, cette musique veut nous arracher imaginairement de nos corps et nous plonger dans des rêveries surréalistes, loin de nos univers palpables. Nous devenons alors comme cet enfant, d'apparence fragile, indifférents à toutes les agressions qui peuvent exister, ne serait-ce qu'un court instant. Nous fermons juste les yeux et « observons » en notre for intérieur quelque chose que nous voudrions plus élevé, différent, abstrait, d'une grâce infinie, aux limites de l'absurde sans doute, mais qui nous porterait un instant vers une vision élevée. Non pas vraiment la mort, mais un ailleurs, beau, pur, délicat, merveilleux, rêvé. Une chimère qui aurait du sens, une fraction de seconde.
Ce n'est qu'une musique. Mais le rêve est toujours permis.