Souvenir d'une pensée d'un autre temps : « Fichtre, je n'ai jamais ressenti rien de tel. Voici assurément l'une des plus belle musique qu'il m'ait été donné d'entendre. Pourvu que d'autres disques suivent, au moins un, deux avec de la chance... Pourvu que ! » A propos de Souvenir d'Un Autre Monde et du projet, alors tout récent, qu'était Alcest. Près de dix ans plus tard, le souhait a été largement exaucé. Alcest fait paraître un cinquième album, et nous a mené, depuis longtemps, au travers de nombreuses émotions.
La trace laissée par cette formation, phare dans le paysage hexagonal et sur la scène mondiale, commence à devenir dense. Des liens peuvent désormais êtres tissés entre les disques, et il devient possible de repérer des périodes, des particularités à chaque nouvelle étape. On s'amuse à revenir en arrière pour parler du futur : la marque des grands. Le jeune projet Alcest n'est plus, aujourd'hui. Sans trop pouvoir cerner l'instant de transition, il est devenu clair qu'Alcest est un projet arrivé dans sa plus grande maturité. Kodama, parait-il influencé d'Asie et d'Orient, était donné pour s'éloigner du très clair et pur Shelter, dont le metal s'était entièrement évaporé pour laisser place à un shoegaze/pop lumineux et tendre. « Quand je compose un album c'est toujours en réaction au précédent. » nous avait soufflé Neige, à l'origine du projet, lors d'une interview récente. En réaction à la lumière intense projetée par Shelter, Neige déclarait : « Je reviens à présent à quelque chose de plus sombre. » Au-delà de la production parfaite, idéale pour révéler les teintes multiples de la musique qu'arbore Kodama, qu'en est-il vraiment, de ce retour au sombre ?
D'emblée, dès l'ouverture sur Kodama, on constate effectivement un retour de la saturation. Les guitares ont retrouvé un grain qui leur va à ravir et qu'elles portent sur elles le long des sinueux riffs caractéristiques du groupe. Les trémolos en clair-obscur, marques techniques d'un black metal dont l'esprit se serait transmué en quelque chose de plus intangible, occupent une large part du disque. Ces derniers se voient parés, tout au long de longues compositions à tiroirs, d'un chant hurlé retrouvé, dont la puissance émotionnelle n'a pas été affectée par la pause prise sur Shelter. Que ce soit sur "Kodama", "Éclosion", sur le très puissant "Je Suis d'Ailleurs" (et son pont noyé de réverbération et d'échos, véritable rêverie et point culminant sur disque) ou encore sur l'intense "Oiseaux de Proies" - ces quatre pistes formant le cœur du disque - riffs et chants dansent ensemble pour recréer une ambiance qui n'a jamais été aussi proche que celle développée sur Écailles de Lune. Tendrement lové entre rage et douceur, le nocturne Kodama ne fait pas évoluer fondamentalement la formule, mais témoigne d'une inspiration toujours aussi vivace.
Les éléments, sur ce nouvel album, dansent tous ensemble. Le jeu de batterie de Winterhaler se pare lui-aussi de détails, de rythmes et de subtilités bienvenues, que l'on ressent ici ou là, et notamment sur le plus court et très pur "Untouched", peut-être le seul morceau qui aurait pu s'être échappé de Shelter, ici forcé de se draper de distorsion, mais que l'on imagine parfaitement sans. L'autre piste à part est cet "Onyx" de conclusion, qui se contente de jouer un rôle de fermeture tout en ambiance. Écailles de Lune avait ses "Abysses", Kodama possède son "Onyx", qui se révèle toutefois un peu moins anecdotique. Passée cette ultime vapeur, le voyage est terminé et on reste quelque peu sur notre faim. Kodama n'est pas particulièrement court (43') mais laisse pourtant cette impression. Soit que le disque présente une fluidité exemplaire, ce qui est vrai ; soit qu'il manque un petit quelque chose, une autre piste un peu différente, comme avait su l'être "Percées de Lumière" sur Écailles... auquel on reprochait déjà une certaine concision. Tout ceci n'est qu'habitude. Rien n'empêche l'auditeur de relancer Kodama encore et encore tant il est un album réussi.
C'est en vain que l'on cherche à en redire sur Kodama, cinquième album d'Alcest. Passé un Shelter au son différent, Alcest retrouve ses amours de toujours autour d'un son à nouveau passé au crible de la distorsion et des échos qui résonnent. Le clair-obscur reste au cœur de l’œuvre de Neige et Winterhalter, plus cohérente que jamais, et toujours aussi belle, à défaut d'être surprenante.