Ce split entre Alcest et Les Discrets, deux piliers de la très en vogue scène post black française, ne présente aujourd'hui que peu d’intérêt. Mais croyez-moi, le jour de sa sortie, le 30 novembre 2009, ce petit objet, rare (pour l'acquérir, comptez désormais 60€ au bas mot...), était le Graal. Plus encore que la mythique coupe : il s'agissait de la première sortie d'Alcest post-Souvenirs. Qui posait, à l'époque, une option simple : continuer de rêver éveillé... ou retourner dans la grisaille du monde.
A tout seigneur tout honneur : Alcest. On ne le savait pas encore en 2009 mais ce split contenait en son sein un futur morceau phare du groupe : "Percées de Lumière", dont le rythme et la structure devaient trancher avec ceux de Souvenirs. Sur ce premier titre, la mélodie cesse de se cacher derrière un mur « shoegazien ». Tout en arpèges saturés et en progression black, ce morceau fait entendre, pour une nouvelle première fois, le chant black de Neige (on ne compte pas vraiment Tristesse Hivernale, qui n'a d'Alcest que le nom). Un chant, mazette, profondément éraillé, dont on se demande comment il peut naître d'un si frêle garçon, à la voix habituellement si douce. "Percées de Lumière" est alors une merveille de post black, qui ne conserve de black que quelques gimmicks récupérés ici ou là. Une merveille de contraste, entre ces paroles, extrêmement positives (« Au bord de l'onde / La chaleur intense / Du soleil m'enivre ») et ce chant, écorché vif, à en pleurer. "Circe Poisonning The Sea", le second titre, dévoile un autre visage d'Alcest. Plus proche de ce que l'on connaissait. Plus doux, mais également - et c'est encore une nouveauté - plus sombre. Terriblement mélancoliques, les arpèges aquatiques plongés dans la reverb, mêlés de chœurs magnifiques, créent un morceau dont on aurait aimé qu'il se développe. Alcest signe une nouvelle réussite. Pas la dernière.
Le temps d'un changement de disque (deux disques pour une grosse vingtaine de minutes, quel luxe) et l'ambiance océanique dessinée par Alcest cède place à la mélancolie forestière des Discrets. Le groupe n'a, à l'époque, pas encore sorti d'album. Ce split est alors, pour la plupart, l'occasion d'une agréable découverte. Le style des Discrets se veut proche de celui d'Alcest, en étant néanmoins plus « boisé » et pourtant moins black et moins shoegazeux. Le chant est volontairement mal assuré et totalement assumé. Il ne cache nulle part pour déclamer-parler-chanter ses textes inspirés de la poésie française, Verlaine en tête. Les Discrets dépeint un Paris d'automne, plein de spleen et de romantisme. Cliché, peut-être, mais réussi, certainement. Le morceau "Après l'Ombre", qui ne paraîtra que plus tard, sur le second album du groupe, est ici présenté dans une version acoustique. Très doux car accompagné du chant féminin-enfantin d'Audrey Hadorn, il impose, avec patience, une ambiance et une progression quasiment post-rock. Peut-être le morceau le plus à même de représenter Les Discrets, encore aujourd'hui.
Que retenir de ce split ? D'une, une confirmation, et de deux, une découverte. Alcest impose son style (« sisilafamille ») et évolue déjà. Les Souvenirs sont déjà derrière et le regard est tourné vers l'avant. Ecailles de Lune sera du même acabit. Du côté des Discrets, on profite de cette rapide apparition pour prouver son talent avec un certain succès. Les deux groupes apparaissent complémentaires - l'un qui regarde le ciel, l'autre les feuilles mortes - et lancent, sous vos oreilles estourbies, le blackgaze à la Française.