Création en 2010. Servitude en 2011. Tyrant en 2014. Xenocide en 2017. Une constance remarquable et chirurgicale avec un album tous les trois ans, et encore une fois, une pochette polychromique qui ne laisse pas indifférent. Aucun doute, les aliens ont à nouveau débarqué sur Terre. Avec une nouvelle arme encore plus puissante que la précédente, parait-il.
Il est désormais futile de présenter la formation originaire de Brisbane, puisqu’elle accapare le devant de la scène du deathcore progressif dans sa branche « aliencore » depuis maintenant cinq bonnes années. Entre tournées à un rythme effréné et sorties d’albums marquants, on peut difficilement passer à côté. Les Aussies ont choisi de venir une troisième fois à notre rencontre en cette année d’élection présidentielle (hasard ou pas, à vous de juger). Et pendant ce trio d’années, la formation a eu le temps de muer. Passant d’un sextet de trois guitares, à un quatuor de deux guitares, Aversions Crown a vu s’envoler son guitariste Hayden Lee, ainsi que son bassiste Jay Coombs. Après tout, ça ne serait même pas étonnant qu’ils se soient fait capturer par une bande d’extra-terrestres en furie. Et si ces deux lascars n’ont pas été remplacés depuis, ce n’est pas le cas du chanteur Colin Jeffs, dépossédé de son micro pour faire place à l’inconnu jusqu’alors Mark Poida, qui prendra une importance colossale dans cet album. Côté label et production, c’est toujours la même sauce, puisque les Australiens sont restés fidèles au label le plus influant de la galaxie, Nuclear Blast, et qu'ils ont également renouvelés leur confiance (qui ne le ferait pas ?) au surhomme qu’on ne présente plus, Mark Lewis, pour gérer l’enregistrement et le mixage de la nouvelle bête.
Quand Servitude et Tyrant proposaient respectivement onze et dix titres, Xenocide en propose douze. Cela a pour conséquence logique et directe d’augmenter la durée de ce dernier. Mais attention, pas juste un peu. Car si les précédents offrandes peinaient à atteindre les quarante minutes, ici on touche les cinquante. Fini la niaiserie ! Une fois n’est pas coutume, c’est avec une introduction qu’Aversions Crown décide de commencer l’invasion. L’instrumentale "Void" n’a d’ailleurs aucune autre utilité que de préparer en douceur le mental de l’auditeur à ce qu’il va devoir subir. Pas d’instruments, juste des samples que l’on croirait empruntés à La Guerre des Mondes ou à Skyline. Cette technique de crescendo va d’ailleurs se retrouver durant tout l’album, sans exception, pour introduire chaque titre, illustrant cette sensation d’envahissement perpétuel. Car si vous êtes candide au point de douter encore du thème de l’album, vous allez tomber de haut. Encore et toujours ces maudits aliens ! Tandis que cet artwork mirifique, réalisé par le japonais Ryohei Hase, nous piège encore les globes oculaires, les paroles ont été presque entièrement engendrées par la nouvelle recrue Mark Poida, dans le but d’instituer un concept-album, dont le sens n’a pas encore été révélé, laissant le libre-arbitre de tout à chacun faire le boulot. Mais le champ d’action du vocaliste ne s’arrête pas là.
Si vous trouviez que l’ouvrage de Colin Jeffs était efficace, alors que dire de celui de Mark Poida ? On rentre dans une toute autre dimension, tant son spectre vocal est large et complet en comparaison de son prédécesseur. Tous les chants caractéristiques du style deathcore sont passés en revue à chaque nouvelle piste, que ça soit du grunt, du growl, du scream ou encore du pig squeel (de type exhale). Mais dans chacune de ces techniques, le chant est moduléede façon à créer l'illusion qu' en vérité une petite dizaine de voix s'illustrent, de la plus gutturale à la plus aigüe. Ecoutez par exemple "Erebus" et "Ophiophagy", c’est tout simplement remarquable. Et s’il y a un autre musicien qui n’a pas de quoi être jaloux, c’est bien Jayden Mason, le batteur. A l’instar, de son compère rhapsode, son apport sur cette galette est fantastique. C’est lui qui dicte le tempo de bout en bout. Accélérations, ralentissements, roulements simples, doubles, blasts beat, double pédale parfaitement calée sur les riffs des gratteux. Il déploie son arsenal technique tout au long des cinquante minutes, sans aucun relâchement. A ce niveau, le mixage est merveilleux, car on sent son omniprésence, sans qu’il soit trop mis en avant. Et cela donne souvent des chansons extrêmement rythmées, avec plusieurs changements de tempo par piste ("The Soulless Acolyte", "Hybridization", "Erebus", "Stillborn Existence", "Misery"). Eh, vous vous attendiez à quoi d’autres lors de l’invasion planétaire ?
Pourtant, les signaux avant-coureurs nous avaient été transmis suffisamment longtemps en avance, avec le single Parasites, en 2015, qui détonnait déjà par sa brutalité accentuée (présence de gravity blast entre autres), et la sortie en avant-première de l’excellent titre "Erebus". Excellent, car il incarne parfaitement la chanson-type d’Aversions Crown, gravé au fer rouge « aliencore », incluant un riff principal aussi technique que psychotique. Et pourtant, même si la bande continue à produire des chansons de ce type, comme la très courte et directe "The Oracle Of Existence" ou "Prysmatic Abyss" et son riff principal aux notes apocalyptiques, il a su évoluer dans son propre style, ne proposant plus uniquement un deathcore supra-massif. Xenocide a tendance à tirer vers un death metal plus classique, même si la brutalité et la lourdeur caractéristiques sont toujours au rendez-vous ("Cynical Entity"). Le fait que moins de personnes soient impliquées dans la conception de l’album entraine forcément une meilleure convergence d’idées et non un éparpillement musical. La musique est plus compacte, malgré le nombre d’influences toujours conséquentes, comme celle du djent, fortement présente dans les riffs majeurs des tueries "Ophiophagy" et "Stillborn Existence", chansons dans lesquelles on retrouve d’ailleurs deux-trois breakdowns. Ceux-ci vont s’immiscer avec parcimonie pour rappeler à tout le monde les origines musicales du groupe, comme la fin de "Misery", et son ambiance mosh-part. Et même si le son est fatalement plus brutal, avec des tons toujours plus bas, Aversions Crown sait également faire dans la subtilité avec des ambiances rappelant Shokran ("The Soulless Acolyte", "Hybridization"), insérant également un discret et mystique solo (le seul de l’album) dans "Cycles Of Haruspex". La prise d’otage se termine par la progressive et technique "Odium", dans laquelle la basse, enregistrée malgré tout en studio, trouve un rôle prépondérant, durant un peu moins de six minutes, et une fin avoisinant les 60 BPM. Les hyperêtres affectionnent les dénouements en douceur.
Aversions Crown délivre donc, avec ce Xenocide, son album le plus abouti et le plus homogène. Avec un effectif diminué d’un tiers depuis la sortie de Tyrant, la formation australienne a su se focaliser sur une musique plus directe, plus efficace, incluant néanmoins plus de brutalité, mais tout en sachant garder ce côté aliencore qu’on adore et pour laquelle on aime (ou non) Aversions Crown. La touche personnelle est restée, toujours aussi reconnaissable qu’avant, mais elle a eu le temps d’arriver à maturité. Si leur plan arrive à terme, on se retrouvera en 2020 pour la prochaine invasion !