Nos compères d’Aversions Crown nous viennent de Brisbane, établie sur la côte Est du pays Oz. Directement, vous vient en tête le stéréotype des gars à la dégaine de surfeurs, un peu comme les gars de Parkway Drive quoi (oui, avec les tongues aussi). Mais que nenni ! Et il suffit que vous vous penchiez un instant sur Google Images pour avoir un démenti visuel assez prompt. Bref, on parle ici d’un groupe qui n’utilise ni plus ni moins que trois guitaristes ! Bah oui quand y en a pour deux, y en a pour trois ! Et vous l’aurez compris immédiatement, le risque que ça défouraille sévèrement est grand dans ce Tyrant, bien aidé par une pochette signée Pär Olofsson (Psycroptic, Aborted, The Faceless). Magnifiquement emplie de terreur et d’imagination, garnie de teinte violette, elle livre un scénario qu’un film de science-fiction post-apocalyptique, tel que La Guerre des Mondes ou Skyline, n’aurait jamais renié. Cet artwork n’est-il qu’une esquisse de ce à quoi doit s’attendre l’auditoire ? Epilogue de ce suspense insoutenable après un peu moins de quarante minutes (et oui la fin du monde peut être expéditive si elle est bien faite).
Depuis 2011, Aversions Crown a pris une dimension toute autre, en signant chez l’un des labels monstres du metal : Nuclear Blast. Cette année, le sextet nous sort un album nommé Servitude. Pour autant, trois ans après, il a décidé de rester fidèle au thème de l'invasion et de la domination planétaire par des forces extraterrestres. Et c’est donc maintenant du côté du Tyrant que nous nous plaçons. En termes de durée, c’est similaire voire presque identique, avec deux minutes de plus pour l’album ici présent. En termes de décoration picturale, c’est semblable, avec toujours le même dess(e)in, la fin du monde imminente, des aliens qui débarquent et qui embarquent tout sur leur passage. Le line-up restant inchangé également, on est en droit de se demander ce que cette galette apporte de nouveau. Pour être tout à fait franc et tuer le suspense dans l’œuf (ou l’être humain dans le vaisseau), pas grand-chose, car clairement, elle ne vient pas révolutionner le monde du deathcore. On pourrait plutôt parler d’une suite revue et améliorée de Servitude. Revenons sur la présence de trois guitaristes qui peut paraître superflu. Pas du tout, car en réalité, deux se chargent des leads rythmiques, en imposant une lourdeur noire et oppressante, tandis que le troisième s’occupe des « mélodies », comprenez des notes aiguës ambiantes à la limite de la subliminalité, mais suffisantes pour instaurer un climat assez malsain et inquiétant. En tant que groupe étiqueté « aliencore », il est légitime de les comparer aux maîtres, et certainement créateurs du genre, Rings Of Saturn. Des chansons comme la magistrale "Xenomorfs" et ses petits passages djent, ou la génialissime ouverture "Hollow Planet" (qui a fait l’objet d’un clip), en sont clairement inspirés. Laissez doucement venir les shreds à vos oreilles avant de vous laisser submerger par l’angoisse et la terreur de bout en bout. Au risque de me répéter, bon nombre de passages de Tyrant conviendrait parfaitement à une BO de film traitant de l'apocalypse, comme la fin de "Controller" dont la fin est alarmante et prenante. C’est d’ailleurs la seule chanson qui fait l’objet d’un solo ! Et oui la fin du monde n’est pas très mélodieuse ; tout comme la phonation de Colin Jeffs, qui alterne entre trois voix : un growl puissant et profond, un chant screamé et une voix alternative. L’alternance et la superposition de ces voix au mixage est magique et du plus bel effet (même si en live, c’est plus compliqué à reproduire).
Le son est impeccable, et on ressent à merveille la lourdeur et le côté malsain des riffs. Bon d’un autre côté, quand on sait qu’il a été enregistré en compagnie d'Andy Marsh, de leur compatriotes de Thy Art is Murder, il n’y a rien d’étonnant. Mark Lewis s'est quant à lui chargé du mixage, comme sur les derniers Carnifex et Whitechapel. Je ne vous fais pas d'illustration de ce que racontent les paroles, la pochette s’en est déjà occupée. Oui, les gars sont assez bornés et toutes les chansons parlent du même thème. Si les titres et la pochette ne vous ont toujours pas mis sur la voie, voici un petit florilège des phrases à propos desquelles vous seriez assez inquiets si vous les entendiez dans la rue, un soir d’orage. On trouve du « Punish the world, the planet is collapsing » dans "Hollow Planet", un petit « This world will be a burial ground » dans "Conqueror" ou un gentil « The world slips into darkness » dans "Earth Steriliser". Mais la palme de la psychose revient clairement à la fin de la chanson "The Glass Sentient" . Comment réagir face à ce « What you believe ! God and the devil to be, They exist in a single entity, They exist in me ! » ?. La phrase est subtilement placée juste avant un passage beatdown de grande classe et d’une puissance dévastratrice. Le contexte et l’harmonie parfaite entre les paroles et les instrumentss vous rendra complètement aliéné, si vous ne l’avez pas déjà été jusqu’à présent. Petite précision tirée d’une expérience personnelle assez récente : ce passage fait totalement décoller en live par sa lourdeur et son atmosphère schizophrène, bien aidé, il faut le reconnaître, par des bassdrops à décorner les bœufs. Trois chansons se démarquent quelque peu, que ce soit en bien ou en mal. Dans la catégorie du positif, il y a cet "Overseer" beaucoup plus aéré et progressif que le reste de l’album, et cet "Earth Steriliser" qui marque une accélération notable avec des cassures de rythme assez fréquentes. Vous le remarquerez d’autant plus qu’elle suit immédiatement la très médiocre "Vectors" absolument sans relief et sans variation. D’une platitude interstellaire, ce qui est la seule vraie fausse note de ce skeud.
En somme, si vous avez aimé le premier album de Aversions Crown, vous aimerez celui-ci à coup sûr, car la recette a été gardée soigneusement mais tout en étant améliorée et perfectionnée. Les ambiances noires, pesantes et malsaines sont gardées jusqu’à être poussées à leur paroxysme. Si on enlève l’erreur de parcours que constitue "Vectors", et qu’on leur pardonne aisément, Aversions Crown livre neuf chansons d’une brillante qualité. On sent que le groupe emprunte de plus en plus un chemin progressif, un peu à la manière d’un Job For A Cowyboy qui est parti du plus brutal vers un son de plus en plus lisse, éclairci et ventilé. A ce propos, Andy Marsh et Mark Lewis ont eu la très bonne idée de ne pas trop mettre en avant la batterie, ce qui permet à l’auditeur de ne pas être noyé lors des blasts beat, qui ne sont, en outre, pas très nombreux. Ce Servitude 2.0 demandera plusieurs écoutes avant d’être apprivoisé et que l’on retienne vraiment des morceaux dans leur entièreté. A contrario, certains passages, plus ou moins mélodiques ou bourrins, resteront mémorables et font d’ores et déjà partie du panthéon du deathcore (à vous de juger de la gloire relative que cela apporte).