CHRONIQUE PAR ...
Dommedag
Cette chronique a été mise en ligne le 01 juin 2021
Sa note :
19/20
LINE UP
-Jacob Bannon
(chant)
-Kurt Ballou
(chant+guitare+thérémine)
-Aaron Dalbec
(guitare)
-Nate Newton
(chant+basse+thérémine)
-Ben Koller
(batterie)
TRACKLIST
1) Concubine
2) Fault and Fractures
3) Distance and Meaning
4) Hell to Pay
5) Homewrecker
6) The Broken Vow
7) Bitter and Then Some
8) Heaven in Her Arms
9) Phoenix in Flight
10) Phoenix in Flames
11) Thaw
12) Jane Doe
DISCOGRAPHIE
Sentiment fréquemment associé au metal en général, grâce à un judicieux tombereau de stéréotypes généreusement alimenté par un tas de sources diverses, des médias généralistes aux amateurs eux-mêmes, la colère n’est pourtant le propre que d’un petit nombre de groupes. En effet, il convient de ne pas confondre simplement énergie et colère. Les genres extrêmes les plus orthodoxes, à savoir le death et le black, ne renvoient souvent qu’à un défouloir ou un état d’esprit négatif, à défaut de servir réellement de catharsis.
Converge, de son côté, et bien que n’étant pas complètement défini par l'étiquette metal dans sa musique, n’hésitant pas à piocher tour à tour dans le hardcore, la powerviolence et le metalcore, se veut justement le porte-étendard de cette colère cathartique. N’hésitant pas à partir sur des terres purement bruitistes, à l’exemple de l’entame "Concubine", le groupe envisage sur Jane Doe de procéder au dépassement méthodique de tout ce qu’il avait proposé avant. Effacées les rares traces d’emo résiduelles, place à un son aussi tranchant que possible, soutenu par un son volontairement aussi gonflé que possible. La poussière vole donc durant un bon moment, nous cinglant par la même occasion, avant de retomber momentanément ; le temps pour l’auditeur de remarquer que trois titres ont déjà été expédiés. Pas évident à voir lors des premières écoutes, la distinction entre les morceaux est rendue difficile par l’aspect totalement chaotique, caractéristique définissant le groupe qui, s’il s’amusait déjà à passer du coq à l’âne sur les précédents albums, enfonce ici le clou quelques crans plus loin dans les enchaînements épileptiques.
La batterie, toute en roulements et soutenant avec beaucoup d’alacrité la course effrénée des guitares, se permet même quelques incursions dans les terres des blast et d-beats afin d’appuyer encore davantage le portrait psychologique torturé que dresse le groupe des tourments d’une personne au sein d’une relation tumultueuse et défectueuse. En ce sens, Converge est intéressant par sa capacité à mêler une musique guerrière à l’extrême à des thématiques relevant de la psychiatrie, telles le syndrome de Stockholm développé par un des conjoints envers sa moitié maltraitante, ou l’évolution de la relation à mesure que les deux individualités propres à chacun ressortent de plus en plus, révélant ainsi des traits insoupçonnés. Ces turpitudes pourraient toutefois paraître quelconques si les Américains ne se surpassaient autant afin de fournir les meilleurs riffs de cette partie de leur carrière (voire de leur carrière tout court), précédant la révélation d’une facette plus mélodique, qui transparaît fugacement sur Jane Doe. En dehors de son chant hurlé caractéristique, Jacob Bannon se plaît également à expérimenter dans le registre d’un chant clair encore rare et hésitant qui apparaît principalement sur le refrain de la pièce-fleuve éponyme.
Pièce-fleuve qui tranche justement avec le reste du disque en mettant la pédale douce, paraissant presque apaisée et aérienne en comparaison du véritable passage à tabac qui l’a précédée. Pourtant, en dehors du ralentissement de tempo, ses composantes sont les mêmes : des riffs décapants, mais parvenant toujours à osciller entre le martial et le majestueux, l’exemple le plus évident étant "Heaven In Her Arms", et surtout ce son viscéral et massif, bien que légèrement approximatif par moments. Le talent de Converge, outre sa capacité à maintenir une intensité éreintante pendant une durée respectable sans pour autant lasser, réside aussi dans sa possibilité de créer des interludes à la manière de "Phoenix in Flight" sans pour autant faire retomber la cadence installée précédemment, et en augmentant même la tension dramatique de l’œuvre, qui ne transparait donc pas que dans les paroles. Cette dernière est rendue particulièrement évidente par les quelques leads, mais surtout par la conclusion de "Thaw", sommet supplémentaire de bruit laissant place au véritable pèlerinage initiatique musical qu’est "Jane Doe".
Oscillant entre les basses fréquences terrestres et quelques envolées salvatrices, Jane Doe se veut être l’accès de Converge à la maturité musicale, scellant le succès du groupe en même temps que son renoncement à une violence incontrôlée et juvénile. Bien que la colère soit évidente sur cet album, le groupe parvient pourtant à mener à l’apaisement par une fin de disque altière, présentant une porte de sortie au tourment de son personnage désormais iconique, ainsi qu’à l’auditeur hagard et brisé.