« It’s inherently in our nature to desperately hold on to the people and the things we love ». Que savons nous de cette œuvre dont les deux premiers volets ont déjà si fortement émus ceux qui se sont abîmés dans leur écoute ? Que De Doden Hebben Het Goed est désormais un triptyque. Une composition arrivée à parfaite maturité, dont la source d'inspiration n'est autre que la perte, celle-là même qui ravage autant qu'elle inspire, tant son implacable fatalité est à la fois source de révolte et de désespoir sans consolation possible. Apprenons donc, ce jour, le nom de celui à qui elle est dédiée, instruisons nous de l'intention de trois musiciens : honorer, par cette offrande d'exception, leur défunt ami, Florent Pevée (Kabul Gold Klub).
Un hurlement, une cavalcade grondante, la frappe de forge d'un marteau de tellure, tels seront vos mots d'accueil à l'entrée de la fournaise. Wiegedood ne prend en effet pas de gants. D'emblée, furieux et corrosif. La rythmique est dès l'instant aussi martiale que frénétique, et le sentiment d'oppression se fraye immédiatement son chemin dans les synapses. L'absence de basse n'est pas ici à déplorer, les deux cordistes œuvrant avec science pour créer une nappe dense, avec force saturations et riffs abrasifs, enrichissant tout à la fois le propos d'attaques acérées, d’envolées dramatiques - comme ce court solo épique à quelques 2'30 d'écoute – nous trimballant dans la spirale infernale comme fétus de paille. Les enchaînements sont brillants, le tempo rythme notre course effrénée avec ce qu'il faut de reprise de souffle et ce jusqu'à ce sinistre breakdown qui n'aura pour toute visée que de nous préparer à accueillir l'impériosité d'une litanie que l'on croirait psalmodiée par quelque inquiétante divinité mythologique, soutenue par le grondement instrumental. Et lorsque s'achève la complainte de la guitare lead, venue en support de cette incantation monocorde, c'est nous qu'elle laisse, déjà, essoufflés.
Espérez-vous trouver un répit suffisant lors de la seconde ouverture ? N'y comptez pas. Ni maintenant, ni jamais. Wiegedood n'a pas sacrifié le schéma des deux opus précédents, ni dans sa structure, ni dans sa violente hargne. Au contraire, il affiche clairement la continuité. Chaque composante de III illustre l'unité des trois recueils. A commencer par son artwork, signé une fois encore par Stefaan Temmerman. L'emblème de Wiegedood que l'on retrouve, immuablement fiché avec simplicité, austérité même, en plein cœur de la lande. Une terre qui n'a jamais été choisie par hasard d'ailleurs. La première fois, ce fut celle de Sint-Eloois-Winkel, petite commune proche de Kortrijk qui a vu grandir Levy Seynaeve. La seconde fois, celle de De Haan, où à grandi Gilles Demolder. Et aujourd'hui, il s'agit de celle de Ransberg, où vit Wim Cooper. Et les quatre titres – une nouvelle fois - qui composent l'ouvrage n'ont pour toute velléité que de faire courir votre esprit vite et loin, jusqu'à ce que vos yeux se révulsent et que vos sens menacent d'éclater sous la virulence des assauts sonores. Dans cette succession de pulsations, de ruptures et d'élancées, dans la rage de son chant black, dans l'ingéniosité de sa composition, Wiegedood se propulse comme foudre à travers autant de landes plates et désertes, de cavités obscures, de bûchers flamboyants, de terres anciennes, et nous ne pouvons que lui emboîter le pas dans une cavalcade folle, croyant nous écorcher les pieds, trébucher sur les obstacles que nos imaginaires éperdus se composent, nous arrêtant juste à ces breakdown, désespérés de recouvrer un instant nos esprits. Mais ceux-ci ne nous offrent nulle paix réelle. Ceux de "Doodskalm" et de "De Doden Hebben Het Goed", ne sont que tranches de tristesse sourde et ne nous soulagent en rien. Les poumons imaginés en feu, nous avons juste le loisir de sentir cette densité mordre nos âmes endolories et ne pouvons que contempler, au gré d'un vortex de blast et de riffs saignants d'amertume, d'effroi et de virulence qui leur succèdent, ce paysage sonore farouchement désenchanté et d'en éprouver pleinement le tourment.
Le titre éponyme s'ouvre certes de manière posée sur les harmonies de guitare, mais les quelques bruits, craquements, gouttes d'eau ricochant sur le sol et qui émaillent la triste complainte, confèrent à ces accords introductifs bien plus d'étrangeté, voire d'inquiétude que de romantisme. Et pour cause. C'est dans un pur brasier que vous allez vous trouver projetés dès la prime attaque de la batterie. La musique se fait alors tourbillon enragé, jalonné des assauts de cette voix qui demeure sans concession aucune. Et si le rythme des pulsations se rompt un instant, si les cordes se font à nouveau délicates, ce n'est, une fois encore que pour s'emporter ensuite plus vivement encore, dans une exaltation frisant le délire, une montée en puissance à comparer avec la colonne d'un vent ravageur charriant tout sur son passage pour soudain disparaître au loin, ne laissant plus que le vide sournois derrière lui. "Parool", qui clôt l'album, ne sera pas moins un condensé de puissance. Aucun répit de quelque nature qu'il soit ne vous sera plus accordé, si ce n'est une unique rupture, trop brève pour constituer autre chose qu'un ultime coup de semonce. Tout du long de la piste, le rythme restera soutenu à l’extrême, le break ne constituant ici nulle échappée, mais seulement le prélude de l'accélération finale. Je vous invite à ce propos à en découvrir la vidéo et déambuler dans ses couloirs glauques, à travers la fange qui s'y illustre, de contempler la décrépitude et tenter de soutenir l'affolement final de l'image, véritable stroboscope photographique, au seul service d'une musique qui, dans ces derniers instants, se fait plus grondante, frénétique et sèche que jamais sur cet enregistrement, pour soudain vous laisser choir dans un silence abrupt, violent en lui-même, mentalement achevés.
Le dernier volet de ce triptyque illustre magnifiquement la montée en puissance de Wiegedood et parachève le chapitre en faisant la symbiose des trois volets sur le plan technique. Parvenus à pleine maturité, les Belges s'illustrent superbement par leur maîtrise et la richesse de leurs compositions, une identité plus que jamais affirmée et assumée, et un propos très finement conduit. Certes, le temps imparti est factuellement assez court une nouvelle fois (quelques trente quatre minutes seulement), mais la musique, savamment calibrée, s'abat sur nous avec une telle densité et une telle fureur, que chaque seconde s’éprouve pleinement et avec force, donnant un sens profond à l'idée maîtresse.