Kvelertak signe son retour en grandes pompes avec son nouveau chanteur, Ivar Nikolaisen, dont le registre ne dénote pas avec celui d’Erlend Hjelvik. Le masque de hibou en moins. Du reste, ceux qui ont pu assister aux concerts donnés durant l’été 2019 lors de sa participation à moult festivals ont pu apprécier la présence du gaillard sur scène : outre ses ressemblances avec Axl Rose, à l’époque où ce dernier jouissait encore de sa taille de guêpe, il donne de sa personne, enchaînant les stage divings toutes les quatre chansons, en moyenne. Tout ça pour dire que ça augurait du bon pour l’album à venir.
Les Norvégiens nous avaient gratifiés de quelques titres en avant-première, dont un chanté en anglais avec en invité de marque Troy Sanders de Mastodon. Un titre qui sonnait autant comme du Mastodon que du Kvelertak, beau mélange des genres, même si on pouvait peut-être regretter le choix de l’anglais, là où le norvégien participait de l’identité et du charme du groupe. Ceci dit, "Bratebrann", autre extrait en avant-première, nous rassurait : le reste de l’album risquait bien de garder le norvégien comme langue principale. Et musicalement, on reste dans la continuité du précédent album, avec une place bien assumée laissée aux envolées mélodiques au chant. Tout en gardant l’agressivité ambiante et surtout, le groove très wock'n'woll si propre au groupe.
Alors, verdict sur la totalité de l’album enfin dans les bacs ? Sans prendre trop de risque, on peut d’ores et déjà le qualifier d’album de transition. En cela qu’il prolonge le glissement vers davantage de mélodies enclenché sur Nattesferd, après deux albums plus agressifs, plus compacts, moins aériens, mais déjà tout aussi empreints de cette chaleur très rock’n’roll qui confère à la musique sa particularité. Avec Splid, on n’en est pas encore à un album purement pop (dans le sens noble du terme), mais si Kvelertak poursuit sur cette voie, on y arrivera logiquement sur les prochaines productions, comme Mastodon a pu le faire au fil de leurs propres productions. La comparaison n’est pas complètement hasardeuse d’ailleurs, tout comme ce n’est pas par hasard si Troy Sanders vient pousser la chansonnette sur "Crack of Doom". Dès le titre d’ouverture, "Rogaland", on sait de quoi l’album va être constitué : un mélange savant entre montée mélodiques, riffs accrocheurs qui donnent envie de s’auto-claquer les fesses tout en martyrisant ses cervicales en cadence, hurlements de soudard en harmonie avec les chœurs mélodieux, breaks bien sentis et solos de fin de concert.
Si on se sent en terrain connu, certains plans sonnant même comme des auto-citations, l’album administre suffisamment d’uppercuts pour qu’on se rende compte qu’il faudra, nonobstant ses apparences simples, plusieurs écoutes pour en dégager toutes les subtilités. Car chez Kvelertak, on ne sacrifie pas la qualité à l’efficacité. Si les riffs et les mélodies ont ce quelque chose d’évident, il n’en est rien, les compositions s’avèrent bien plus subtiles qu’il n’y paraît. "Fanden ta dette hull !" réserve par exemple un passage central carrément thrash des plus surprenants qui déroute à la prime écoute mais qui confère assurément au titre toute sa richesse. Il y a comme de la nonchalance de bon aloi dans les mélodies qui suivent ce passage violent.
En réalité, plus qu’un album de transition, Splid se double d’un album de la maturité. Pas de rupture nette avec ce qui a précèdé, mais avec une écoute attentive, on y décèle une évolution des plus sophistiquées. Tous les éléments qui avaient séduit les fans dès le premier opus sont là : l’agressivité un tantinet punk et les blasts propres au black metal, mais Kvelertak instille avec une plus grande maîtrise que dans sa précédente offrande les apports mélodieux, les arrangements qui participent du brin de folie qui habite sa musique. Prenez par exemple "Uglas Hegemoni" : titre court (trois minutes), sans fioriture apparente, taillé pour le live, l’agressivité du chant sur le refrain s’harmonise aux mélodies des partitions de guitares. Le chant clair s’équilibre à la perfection avec son pendant éraillé. Lorsque le titre s’achève, on a comme une envie de reviens-y. Tout l’album fonctionne ainsi. Il se déploie sous les signes conjoints de l’équilibre, la subtilité et la fluidité. Témoin, ce pur joyau de "Delirium Tremens", avec son début pop, chant clair, arpèges, ligne de basse sexy. On sait que le titre va partir dans les hautes sphères, et quand il prend son envol, gagnant en fureur, le plaisir monte d’un cran. Ainsi de suite, tout en progressions et transitions insidieuses, jusqu’à son climax infernal en guise de conclusion.
En clair, Splid présente un parfait équilibre entre rage, folie et mélodie, et réunit ainsi toute le meilleur des précédents albums en onze titres qui comptent comme autant de baffes à vous faire sombrer dans le masochisme le plus jouissif. Assurément un album qui va, en plus, se bonifier avec le temps.