James Osterberg, ça ne vous dit peut-être rien. Pourtant, il s'agit là d'un monument du rock, et pas des moindres. Iggy Pop est déjà plus parlant. Ce que la plupart des jeunes ignorent aujourd'hui, c'est qu'avant de faire de la publicité pour une marque de téléphonie portable, Iggy Pop a été à la tête d'une des formations majeures du rock, rien que ça. Cette formation, c'était (est-ce encore ?) les Stooges...
Composés originellement des frères Asheton (Scott à la batterie et Ron à la guitare) ainsi que du bassiste Dave Alexander, si de nos jours, il est de bon goût d'aimer les Stooges, c'était moins le cas à leur grande époque, où ils étaient sans doute trop violents/bruts/étranges/anarchistes pour percer sur les radios mondiales (où tournaient quand même les Stones et les Beatles, ce qui n'est pas rien). Si Bowie et Lester Bangs se sont intéressés de près à cette formation, c'est qu'il y a une raison, ou plusieurs. On connait l'affection profonde que portait Bowie au Velvet Underground, alors de savoir que John Cale, tout juste parti de la légendaire formation, s'occupe de produire le premier album des Comparses du Michigan (et accessoirement d'y jouer du violon), ça avait largement de quoi lui donner envie de se renseigner.
Ensuite, gageons que le charisme d'Iggy Pop y est pour quelque chose. Le chanteur et leader du groupe (qui a été batteur à ses débuts) écrase ses collègues sur scène. Suivant son idole Jim Morrison, il s'exhibe torse-nu et se laisse porter par la violence de sa musique, au point de se lacérer, de se recouvrir de beurre de cacahuète... C'est à lui que l'on doit notamment le slam. Inutile de dire que le style plaît aux auditeurs les plus violents du moment, mais qu'il ne plaît guère aux autres, disons la majorité d'entre eux. Mais qu'importe, Iggy Pop n'ira pas pour autant caresser les radios dans le sens du poil, et c'est en partie cela qui confèrera au bonhomme son statut de légende.
Musicalement, l'album éponyme ne se distingue pas réellement du rock de l'époque, l'ombre du Velvet Underground y est d'ailleurs très présente (de l'hypnotique et psychédélique "We Will Fall", dix minutes au compteur, au final de "Ann", qui s'achève en incantations). L'idole de Ron Asheton, un certain Keith Richards, plane aussi sur un bon nombre de passages guitaristiques. On leur pardonne vite, car pour un premier jet, les Stooges posent déjà les premières pierres de l'édifice punk. A l'instar des groupes à succès des années 1970, qui seront reniés par la déferlante punk, Iggy et sa bande feront figure de pères spirituels de la scène, voilà donc une autre explication de l'importance qu'on décerne aux Stooges à l'heure actuelle. Ecoutez donc un petit "I Wanna Be Your Dog" pour vous convaincre de la punk attitude avant l'heure de cet album : riff imparable, batterie endiablée et entêtante, et surtout une énergie dégagée qui décoiffe.
L’Iguane se plaît à entamer des duels avec Asheton, voix contre guitare, rivalisant de puissance, et ça, plusieurs mois après le Summer of Love, ça devait valoir son pesant d’herbe. Detroit est en pleine ébullition rock, plus mécanique qu’acoustique, les émeutes sanglantes ayant eu lieu deux ans auparavant ont laissé leur trace. Motown n’a pas le monopole musical de Motor City, et Danny Fields l’a bien senti en faisant signer les Stooges et leurs grands-frères MC5 chez Elektra. Maintenant que l’Iguane concurrence le Lézard sur scène il n’a plus qu’à le faire en studio, et à ce moment-là, ça n’était pas encore gagné. Trop de pédale wah-wah et une fin d’album assez moyenne (le final "Not Right"-"Little Doll" sentant clairement le vite écrit-vite joué) viennent malheureusement plomber l’ambiance.
Sans doute encore trop influencé par les aînés, cet album éponyme a le mérite de lancer les fondations d'une formation légendaire, et de la faire connaître au public, via des prestations scéniques impressionnantes. Loin d'être aussi réussi que ses successeurs (en partie à cause de la production John Cale), on a là l'archétype de l'album rock, brut, primitif, sans concession ou presque, plus fort que les Who, et ça en seulement deux jours d’enregistrement. De quoi donner envie au passionné du rock en herbe de s'y plonger les yeux fermés, mais les esgourdes bien ouvertes.