2012, 2014, 2016, 2018 et. . . 2022. L’algorithme était bien rodé, la mécanique était fluide et millimétrée comme une horloge suisse. Mais une petite pandémie est passée par là pour tout dérégler. Qu’à cela ne tienne, Rémi Gallego a décidé d’intituler, de manière totalement sobre, son nouveau brûlot Data Renaissance. Pouvait-il en être autrement ?
Faut-il privilégier la technicité à l’ambiance dans la musique ? Si la réponse à cet éternel débat est bien évidemment reliée au style musical dont il est question, Rémi Gallego a décidé d’y répondre au fur et à mesure de la construction de son œuvre musicale. Mettons de côté ses deux premiers projets
The Doppler Effect et
Critical.Error qui sont beaucoup trop expérimentaux pour pouvoir rentrer dans la catégorie album studio. Ils sont d’ailleurs très souvent – et à juste titre – placée dans la rubrique «
démo ». Il nous reste donc quatre full-lengths. Cinq en y ajoutant
Data Renaissance. Si
Polymorphic Code était nettement orienté progressif/djent bien que mixant plusieurs autres genres, il n’en restait pas moins technique et incisif. Son successeur,
Octopus4 manifestait quant à lui beaucoup plus d’éléments du monde vidéoludique. Vint alors la transition
Brute Force, qui était plus ou moins un combiné des deux premiers, et finalement, il y a quatre ans,
Compiler Optimization Techniques qui nous annonçait sans aucun doute la marche que le Perpignanais allait suivre.
En réalité, depuis 2016,
The Algorithm avait annoncé son intention de bifurquer, en quittant le label Basick Records afin de rallier l’américain de FiXT Music. Certes, en 2018 C.O.T était d’abord paru sous bannière indépendante, mais il a tout de même fini par être réédité chez le label susnommé. Et il suffit de voir le catalogue d’artistes présents dans le giron de ce dernier pour comprendre ce qu’il allait advenir : rock, metal, mais aussi et surtout synthwave, EDM, et indie-pop. La première pierre était posée, et Rémi nous indiquait vouloir se tourner résolument vers quelque chose de plus atmosphérique et ambiant. Il suffit de se tourner vers les influences du sudiste pour comprendre ce qui a changé dans sa manière d’appréhender la musique. Si par le passé, il était un adepte de formations comme
Meshuggah,
Dillinger Escape Plan, Necrophagist, ou
Gojira, son oreille est désormais beaucoup plus sensible à des artistes comme l’Irlandais
Aphex Twin, compositeur de musique électronique ou bien le canadien Trevos Morris, compositeur de bande originale de film. La technique n’est plus recherchée, elle a été délaissée au profit d’une recherche de textures et d’atmosphères.
En effet, on entre dans un monde où la guitare a presque entièrement disparu, au profit d’une composition digitale massive. Pourtant, même si The Algorithm ne sort pas du monde du divertissement informatique, comme en témoigne son projet parallèle intitulé Boucle Infinie, dans lequel il créé des BO de jeux virtuels, ainsi que des éléments chiptune disséminés au travers de l’album ("Interrupt Handler" en tête, ou encore "Readonly" et ses samples de claviers), il plonge complètement, et sûrement définitivement, dans un univers éthéré. Les éléments synthwave sont omniprésents, à l’instar des ostinati posés dans presque chaque titre. Et c’est là que chacun verra midi à sa porte. Quand une certaine frange (certainement minoritaire) aura fait le parallèle avec le monde spatial de
Neurotech ("Object Resurrection", "Oracle Machine"), l’autre partie, sûrement majoritaire, aura crié au génie (ou au scandale, c’est selon) en entendant les grandes similitudes entre des "Cryptographic Memory" "Multithreading" et la BO de la série
Stranger Things. Rien de plus normal quand on sait que les compositeurs de la BO, Kyle Dixon et Machael Stein, appartiennent au groupe Survive, groupe de synthwave, fortement influencé par la musique cinématographique des années quatre-vingts. La boucle (infinie ou non) semble donc être bouclée.
Avant de finir, il est tout de même judicieux de relever le peu de points faibles présents. En termes de musique pure, on aura juste du mal à comprendre les passages typées gabber à la fin du dernier titre "Inline Assembly" qui n’apportent pas une réelle plus-value hormis l’ajout d’un nouveau style jamais utilisé dans les œuvres précédents. C’est tout. Mais il faut bien une véritable lacune sur cet opus. Et il réside dans la durée de celui-ci-. Si l’on fait abstraction de
Compiler Optimization Techniques s’apparentant plutôt à un EP de par son nombre de pistes, les trois brûlots de 2012 à 2016 oscillaient entre quarante-six et cinquante-quatre minutes, quand ce
Data Renaissance ne parvient même pas à taper les quarante minutes. Et c’est fort dommage quand on voit l’orientation synthwave/ambiant que Rémi a décidé de donner à sa progéniture. Il aurait même peut-être gagné à réduire le nombre de pistes et étirer les autres afin qu’on puisse mieux s’en imprégner, sachant qu’il n’existe aucune transition entre celles-ci, cela a tendance à sortir l’auditeur assez brutalement de sa transe et l’oblige à se réadapter en permanence. Pas optimal pour une écoute confortable.
S’il est difficile de nier une évidente renaissance, on peut néanmoins considérer que ce Data Renaissance est incontestablement l’album de la maturité pour The Algorithm. On sent que Rémi Gallego a trouvé la bonne formule en termes d’homogénéité, ce qui est sa véritable force, malgré l’absence d’un titre ravageur. Pour autant, dans la composition, l’album ne révèle véritablement aucune faiblesse, et si Rémi Gallego parvient à trouver un bon compromis en termes de longueur des titres, il se peut que le prochain disque marque le sommet de sa carrière.