Venus d’Oakland, Saviours est un groupe de rock’n’roll ricain difficile à cerner. Avec Into Abaddon, leur second album, ils offrent un stoner épique jonglant avec le heavy, le punk et le groove mode seventies, et malgré leur aspect pluriel, ils semblent être de ceux qui ont choisi le côté obscur. Oui, ceux qui aiment Black Sabbath, mais avec Dio dedans. Et alors que quelques doutes subsistent quant à leur mauvais goût probable, un coup d’œil à la pochette vient confirmer tout cela.
L’alliage que pratique Saviours est étrange et pas franchement agréable, disons-le tout de suite. Et j’ai comme l’impression que ça devient à la mode d’utiliser l’attribut stoner pour justifier les déviances heavy, à grand coup de riffs de cavalier de l’Apocalypse au galop et se permettre les pires solos harmonisés à la tierce, juste parce qu’après y’aura un break supposé groovy pour rattraper le tout. Qu’il suffit de foutre un peu de phaser par-ci, de wah-wah par là pour s’autoriser des hommages à peine voilés à la NWOBHM. A un moment il faut savoir choisir son camp, parce que les récents efforts de ces groupes à la mode ont prouvé que ça ne fonctionnait pas du tout, du tout.
Alors, oui, bien sûr, il y'en aura bien quelques uns au fond de la salle, près du radiateur pour venir me dire que Mastodon c'est de la balle, et que Baroness, c'est trop frais, mais ce sont toujours les mêmes cancres. Le stoner n’est pas fait pour être épique, heavy (au sens tapette en cuir du mot) ou quoi que ce soit d’autre. A l’écoute des précédents morceaux du groupe présent sur le myspace, une réorientation leather-friendly devient évidente autant qu’incompréhensible. Sur le présent album, “Narcotic Sea” par exemple est assez emblématique de ce que peut proposer le groupe. Tout commence sur une éjaculation sonique noyée dans un phaser surprenant avant d’enchaîner sur un schéma punk bête et méchant.
Ça parle presque de drogue, le rythme est gentiment agressif, jusqu’ici tout va bien, puis patatras. Le break immonde arrive, l’épique pointe le bout de son museau et fout tout en l’air, mais ce n’est pas tout ! La drogue revient de plus belle, le heavy 80’ laisse la place aux influences Sabbathiennes pour achever le morceau sur deux solos superposés (dont un doublé, parce que ça a l’air de les démanger systématiquement). Tout ça est globalement dommage, parce que le groupe bénéficie d’un son convaincant et crédible dans son créneau. Trop seventies pour vraiment exhaler le metal par tous les pores de ses riffs, mas vraiment trop metal pour être sincèrement seventies.
Et ce n’est pas la voix, évoquant Lemmy qui alpaguerait un collègue à l’autre bout d’un chantier qui permettra de départager cet enchevêtrement d’influences impossible à allier avec décence. Ce qu’il manque, en fait, c’est un vrai « parti-pris » (si l’on peut dire quand on fait de la musique comme ça) plutôt que de caser un peu tout ce qu’on aime dans chacun de ses compositions. Foutre Black Sabbath, Judas Priest, Iron Maiden dans un gros mixeur et saupoudrer de punk et drogue ne peut aboutir qu’a un golem visqueux et d’autant plus agaçant qu’il est aussi délicat de le haïr entièrement que de l’apprécier dans son ensemble. On peut ajouter que Saviours ne sont pas seuls sur ce créneau, et que le genre « stoner-metal-heavy-moule-burne » risque bientôt de saturer à ce rythme.
Que penser d'un tel album alors? Si tous les groupes cités vous bottent, et que dans un élan de nostalgie vous aimeriez tous les enfiler, sans en avoir le temps, Into Abaddon peut être une bonne solution alternative, joliment produite par un type compétent qui a aussi bien travaillé avec Tool, Kyuss et les Melvins que Bad Religion (qui a crié « gâchis » ?). Autrement, ce mélange bâtard risque fort de vous ennuyer, de vous agacer, ou bien de vous laisser froid, selon les morceaux.