Vous qui lisez cette chronique n'êtes sans doute pas sans savoir qu'il y a, depuis quelques années, un peu partout mais particulièrement en Suède, pas mal de groupes à influences très rétro, mettant donc au goût du jour les bons vieux vinyls du passé, en faisant de ceux-ci, par la même occasion, autre chose que des vieux groupes sur lesquels on s'est basé pour faire des trucs plus rapides, plus saturés, plus mieux, ou pas. Anekdoten, groupe de rock progressif psychédélique, en fait partie. Et ce quatuor venu d'Europe du Nord nous sert en cette année 1993 son premier album : Vemod.
Premier constat : ce n'est pas le genre de musique que vous entendrez sur Virgin Radio. Mis à part l'aspect gros sous complètement absent de cette galette, le style n'y collerait pas vraiment. On commence en effet sur une intro absolument gigantesque, j'ai nommé : "Karelia". Le titre jouit lui-même d'une introduction très calme (mais déjà très suggestive, et chez Anekdoten, ce qui est suggestif est en général aussi inquiétant...), qui n'est autre qu'un magnifique duo de mellotrons de plus d'une minute trente. Arrive ensuite le vif du sujet. On commence les hostilités par une rythmique déjà très tordue (et je ne vous le cache pas plus longtemps, ce sera comme ça pendant pratiquement toutes les 56 minutes sur lesquelles s'étale cet album), assaisonnée de brefs éclats de violoncelles, vraiment très brefs, mais qui rendent la chose tellement plus intéréssante. En même temps, la formation nous dévoile une basse saturée jouée de manière très particulière, qui serait, paraît-il, inspirée du Zeuhl...
Cette manière de faire a donné lieu à pas mal de critiques de la part des auditeurs. Ainsi, la galette manquerait d'originalité et donc le groupe de personnalité. Évidemment, un album manquera toujours cruellement de personnalité quand on le comparera à tous les autres disques auxquels il fait référence et desquels il fut inspiré, sachant que ces inspirations ne seront pas toujours avouées par les musiciens concernés. Ici, et c'est clair, la principale référence, c'est King Crimson, et le groupe ne semble d'ailleurs pas s'en cacher. C'est une remarque que l'on peut faire à l'écoute de divers procédés, citons-en quelques uns, comme la saturation de la basse, l'utilisation du mellotron et la manière de faire générale, sans compter les harmonies peu orthodoxes souvent appelées dissonances... encore que ça dépende de votre culture, de votre personnalité, de l'époque à laquelle vous vivez, et enfin éventuellement de vos connaissances en physique des ondes. Concernant le chant, il ne jouit ici d'aucune prouesse technique, l'accent étant plutôt mis sur la qualité des lignes vocales que sur la forme.
Le morceau "Karelia" nous fait découvrir une facette des plus plaisantes chez la formation scandinave. Le premier « gros » riff, introduit par - comme toujours chez Anekdoten - une structure très progressive, est joué d'une manière très naturelle, sans jamais se répéter exactement. Ce qu'il faut comprendre par là, c'est qu'à première vue, le riff est constitué de mesures qui se suivent et se ressemblent, un thème. Mais en y prêtant une attention plus grande, on se rendra compte que cette mélodie de guitare est jouée très différemment à chaque fois, et cette manière de faire contribue aux aspects qui donnent de la puissance à ce disque. Ajoutez à ça un jeu de batterie exemplaire, du moins par rapport à ce que l'on entend en général, et vous obtiendrez une musique de qualité. Soulignons également que l'on entend ici différents types d'ambiances, mais allant dans la même direction, ce qui fait qu'il s'agit là d'un album excellent, qu'on écoute d'une traite sans s'ennuyer. Ah, au fait, Vemod, en Suédois, signifie « mélancolie ».
Vemod est un premier album tout à fait honorable, et on est après l'écoute de ce disque en droit d'imaginer un futur musical des plus riches pour ces quatre Suédois-là. Bon, vous me direz, c'est un peu de mauvaise foi comme commentaire, puisque cette chronique fut rédigée en toute connaissance de l'album qui suivit Vemod, l'excellent Nucleus, les riffs style « volets qui grincent » de "The Old Man and the Sea" ne seront d'ailleurs pas sans nous rappeler son introduction...