The Mars Volta est devenu une sensation inédite dans le paysage progressif. Si, cependant, vous n'aimez pas le discours relativement abscons de ce groupe, ni l'expérimentation pour expérimenter, saviez-vous que les deux compères au look ravageur avaient officié jadis (enfin, il n'y a pas si longtemps) dans un groupe assez différent, mélange explosif de compositions punk/rock, de guitares saturées, de chant hurlé et de refrains popisants? Ce groupe, qui a splitté, malheureusement, en 2001, c'est At The Drive-In. Bien sûr, les fans hardcore étaient déjà au courant et dans ce cas, je ne leur apprends absolument rien. Mais si vous êtes de ceux qui ne connaissaient pas, vous êtes bien retombés: Relationship Of Command est un album aux mensurations de rêve.
Bien plus accessible que son cadet, At The Drive-In ne dément pourtant pas les capacités pas ordinaires des deux Texans, loin de là. Relationship Of Command est un album racé (production de Ross Robinson, mixage d'Andy Wallace), léché jusqu'au bout des griffes et écrit de la plus savante des façons par un groupe alors au sommet de son art. Un art contestataire, ni plus, ni moins, moins autistique, brassant une énergie punk volontairement en roue libre ("Acarsenal", "Invalid Litter Dept." et ses «Dancing on the cops' ashes» entonnés à tue-tête) avec des inspirations progressistes du plus bel effet (l'expérimentation électro sur "Enfilade", le minimalisme ambiant de "Non-Zero Possibility"). La construction des morceaux reflète une envie d'aller à l'essentiel, sans pour autant sacrifier une certaine complexité. Bref, voilà un disque qui réussit l'intéressant pari de paraître à la fois simple - mais pas simpliste, attention - et très recherché. De ce point de vue, il n'y a absolument rien à redire à propos de Relationship Of Command, dont le tracklisting est assez phénoménal de consistance.
Maintenant, tout se joue, pour ce petit bijou d'énergie tantôt brute, tantôt contenue, sur des compositions accrocheuses au possible. L'ensemble est enlevé, le rythme est effréné. Comment ne pas résister au feeling absolument dantesque de "Cosmonaut", ni plus ni moins la meilleure piste de cet album d'anthologie? Comment ne pas succomber au tubesque "Pattern Against User" et son refrain véritablement entêtant? Comment ne pas headbanguer au son du mirifique "One Armed Scissor"? Impossible, cent fois impossible! "Acarsenal" ouvre prudemment le disque sur un rythme tribal, pour ensuite tout lâcher sur un riff absolument imparable et sur les "bewaaaaaaaaaare!" littéralement vomis par Cedric Bixler, dont on ne soupçonnait pas une telle puissance. Une puissance vocale empruntée à un certain Zach De La Rocha, dont l'ombre plane assurément le long de ce disque (le flow de Bixler sur "Sleepwalk Capsules" est à ce titre impressionnant de mimétisme). Il s'est bien "calmé" depuis l'aventure Mars Volta, le pépère...
Relationship Of Command mêle un feeling metal très distingué (riffs plus clairs qu'à l'accoutumée, mais distortion et gravité incroyable - écoutez "Mannequin Republic" et sa basse ronflante de toute beauté) à des arrangements typiquement rock ("Rolodex Propaganda", où est invité Iggy Pop et son timbre typique), ce qui confère à ce disque une puissance et un phrasé qui siéra aussi bien aux metalleux qu'aux purs amateurs de rock. Ross Robinson n'a heureusement pas dénaturé le son At The Drive-In en apportant sa touche toute personnelle (un son de basse dont il a le secret, un mix des deux guitares au poil, tout en conservant l'urgence qui caractérise le groupe), qu'il a pu tranquillement forger avec ses Korneries.
Relationship Of Command a été une véritable révélation. Ne laissez pas tomber The Mars Volta, qui en vaut tout de même la peine, malgré un narcissisme parfois exacerbé et des expérimentations sonores qui confinent assez souvent à la branlette stérile. Mais si une méchante envie de bouger vous prend soudainement, si vous voulez vous prendre une rasade exceptionnelle de riffs tous aussi fous les uns que les autres, tournez-vous, de grâce, vers cet album anthologique. Chant du cygne d'At The Drive-In, Relationship Of Command mérite de figurer en bonne place au panthéon des meilleurs albums de rock sortis ces dernières années. Tout simplement exceptionnel: il mérite amplement sa note; aussi élevée soi-elle, elle ne lui rendra pas assez!