Autopsie est la première démo rééditée ensuite en véritable album du groupe marseillais dont la réputation n'est aujourd'hui plus à faire, et a permis au monde de découvrir une hurleuse hors pair soutenue un groupe de brutes. Soyons clairs: Eths n'est pas un phénomène de mode, un "groupe à chanteuse" monté en mayonnaise par les médias. C'est une des meilleures formations live qui soit (je parle au niveau international, entendons-nous bien) et sur cet album la puissance du groupe en concert est déjà bien condensée. C'est également un collectif de musiciens redoutables qui savent distiller des brûlots de haine entrecroisant métal extrême, néo, thrash et hardcore pour un résultat qui rentre violemment dans la tronche de l'auditeur masochiste et heureux. Et cette voix...
Car oui, comme chez Arch Enemy, la ravissante donzelle derrière le micro n'est pas qu'un faire-valoir. Oula non! Dès la première écoute, Candice fait peur. Le grain de ses hurlements est incroyable, c'est de la haine puissance vingt-trois tendance hardcore, death, black ou thrash selon les moments car en plus la donzelle est technique et sait moduler son growl. Elle brise parfois ses énormes "grooooar" avec des passages murmurés-pleurés qui contribuent de fait à l'orientation néo de certains passages de l'album, et le reste du temps elle beugle d'une manière que tout amateur de métal extrême se devra de trouver bluffante. C'est tout simplement une des meilleures voix dans le genre, au moins en France et peut-être plus. Ce chant psychotique est rehaussé par une prod nickel: c'est comme ça que les voix hurlées devraient sonner en général, avec ce son énorme, acide et corrosif. Le reste de la production est à l'avenant: le son des guitares est particulièrement sale et gras, ce qui donne aux riffs une épaisseur de bon aloi. La basse souvent slappée ressort, et la batterie cogne, quoiqu'un peu moins bien servie. L'album (sorti lors de la période Coriace du groupe aujourd'hui chez Sriracha) a été remastérisé en 2003, ce qui explique sûrement la qualité du son pour un premier opus.
En tout cas ça cogne, dans une tonalité bien hardcore. Le premier titre "Pourquoi" s'inscrit dans une mouvance néo-HxC violente (couplet pleuré dissonant/refrain hurlé qui fait sauter partout),se contente d'être très efficace et permet à l'auditeur de rester effaré par Candice et son organe. Mais dès le deuxième titre "La Chair & Le Sang" la donne change: la déferlante de l'intro avec une basse slappée géniale prend aux tripes. C'est de l'extrême intelligent, du bourrin étudié, avec des transitions thrash-death et un chant toujours aussi possédé. Deux minutes quarante-huit et la messe est dite: on ne regarde plus l'album de la même façon après cette chanson. D'une manière redoutable, les Eths ont réussi à nous faire comprendre qu'ils ne sont pas qu'un groupe "de plus". Il y a quelque chose, là, se dit-on! Et effectivement, il y a quelque chose.
Eths a en fait un bon nombre de cordes à son arc, et au lieu de tout balancer dès les premiers titres comme font d'autres groupes ils ont su distiller leurs influences tout au long de leur album. C'est donc au fur à mesure que l'on entend leur musique s'étoffer de plus en plus tout en restant foncièrement ancrée dans le style "Eths". Qu'en-est il, alors, de ce style qui aujourd'hui blinde toutes les salles dans lesquelles ils jouent de fans en délire? Un métal hybride (comme toujours aujourd'hui) qui puise ses ressources dans une maîtrise rythmique d'un niveau franchement supérieur, et qui mélange sans cesse entre le très violent et le groovy. Les riffs du groupe sont toujours efficaces et parfois très inspirés, et les "start-stop" sont une de leurs spécialités. Les passages speed tirant vers le death sont des petits moments de joie, surtout une fois couplés aux riffs hardcore et thrash syncopés, décalés, brefs recherchés tout en étant foncièrement heavy et arrache-tête. Le côté groovy-ambiancé-funk des couplets "d'A La Droite De Dieu" complète merveilleusement les refrains rentre-dedans. Et qu'est-ce que ça hurle...
Franchement pour une première démo c'est vraiment surprenant de qualité. Les changements d'ambiances sont incessants, les enchaînements sont fluides et vous prennent à revers, et on a le plaisir d'en prendre plein la tête tout en ECOUTANT la musique qui nous fait du mal, ce qui est la marque de mes groupes chouchous. Bon, de temps à autres Eths nous ressort un riff déjà entendu chez Sepultura et consorts, surtout dans les parties hardcore. Un excellent titre comme "Des hommes bons" est amoindri par une outro clichesque, par exemple. Le titre "Autopsie" est un exemple de typique de métal à la française avec chant hurlé/rappé/ragga (il y a des invités masculins) qui rebutera un bon nombre de métalleux au sens heavy-metal du terme. Le style vocal de Candice sur les parties murmurées/pleurées peut surprendre, comme sur le dernier titre Dévore... elle a expliqué depuis en interview qu'elle ne savait tout simplement pas chanter en clair à l'époque. Ce dernier titre est par ailleurs un peu trop expérimental à mon goût, on ne voit pas trop où ça va.
Autopsie reste quoiqu'il en soit un album à écouter. Si les titres composant Sôma m'ont paru mal passer le cap de l'enregistrement, ce premier album dégage, lui, cette folie que le groupe conservera toujours en live. Car c'est sur scène qu'Eths devient le groupe énorme qu'ils seront peut-être un jour sur disque (et tout court). En attendant, jetez une oreille sur Autopsie, vous verrez qu'Eths déjà à l'époque ce n'était pas de la blague.