La batterie de David Lovering, métronomique et implacable, ouvre le disque. Kim Deal, de sa basse proéminente, esquisse le thème de "Bone Machine", auquel viennent s’adjoindre les deux guitares des sieurs Francis et Santiago… Un temps (volontairement) en avance sur la batterie. Pas de doute, on est bien chez les Pixies, ceux qui nous ont pondu Come On Pilgrim. A une différence près : cette fois, ils maîtrisent vraiment leur affaire et se montrent souvent stupéfiants.
Et c’est le sourire aux lèvres, allant de surprises en réjouissances, que nous traversons les quatorze titres de cet album: "Break My Body" ressemble à un morceau new-wave joué par le U2 des débuts (ce qui n’est pas un mal) qui se conclut de manière très abrupte pour mener à un instrumental taré, du punk quasi-psychotique ("Something Against You") qui vous recharge les batteries en moins d’une minute trente ; un pur moment de bonheur qu’ils font suivre par un morceau encore plus barré (l’irrésistible "Broken Face"). Après ça, le déluge ? Non : "Gigantic", une petite merveille de pop musclée, qui aurait suffi à faire vendre l’album par millions s’il était sorti, disons, quinze ans plus tard. C’est également l’occasion pour Kim Deal (à l’époque Mrs. John Murphy), qui assure une bonne partie des chœurs du disque (bientôt Black Francis ne lui en donnera plus l’occasion…), de tenir le chant lead et de nous ravir de sa voix candide et veloutée. "River Euphrates", morceau joyeusement déséquilibré comme les Pixies savent si bien le faire, avec en prime un refrain imparable, comme c’est le cas pour 90% des titres présents sur ce recueil.
C’est à la dérive sur l’Euphrate que se présente à nous la pièce maîtresse de ce Surfer Rosa, le morceau par lequel beaucoup (dont votre serviteur) ont découvert les Pixies : je veux parler, bien sûr, du fabuleux "Where Is My Mind ?" et sa ligne mélodique éblouissante, ses chœurs fantômes, la voix de Black Francis qu’on dirait perdue dans un océan de tourmente (quel poète je fais)… Tout, jusque dans ses moindres détails (la voix de Lovering - ou est-ce Santiago ? – à l’arrière du mix, qui double Black sur le refrain) tend à rendre ce morceau magique, et donc intemporel. C’est qu’on se rend compte, à travers tout ça, que nos Farfadets ont un immense talent…
Et ils n’en restent pas là: quoi de mieux pour succéder à cette pièce maîtresse qu’un titre tout en nuances, crescendo habile porté par un Black Francis plaintif : "Cactus" qui n’a rien à voir, on se l’imagine, avec un quelconque morceau de Dutronc. Puis on repart dans la folie douce avec un triplet absolument délirant: "Tony’s Theme", ou le morceau le plus déconnant de la carrière des Pixies, qui ne ressemble à rien avec son refrain hurlé, d’une profondeur textuelle insondable («TO-NY! TO-NY! TO-NY!»), et pourtant arrive à tout. Bah oui, plus c’est con, plus c’est bon, non ? Et pis v’la l’Black qui repart dans ses délires hispaniques avec le surboosté "Oh My Golly !" qui ne vous laissera pas le temps de souffler; tout ça pour repartir sur "Vamos", encore meilleur que sur Come On Pilgrim de par l’adjonction d’un « solo » complètement givré d’un Santiago impérial… Mais comment font-ils, bon sang, pour nous proposer une telle collection de perles dans un si petit écrin (trente-trois minutes)?
Certes, les Pixies ont là une production qui tient vraiment la route (Steve Albini, quand même) et qui rend justice à leurs compositions (il n’y a qu’à comparer les deux versions de "Vamos", encore une fois…). Mais ces compositions, justement, ne confirment-elles pas d’une éclatante manière le potentiel que l’on imaginait sur leur précédent effort ? Oui, à partir de là, ils ne se contentent pas de montrer qu’ils ont l’étoffe de grands: ils SONT grands. On regrettera alors que ce disque se termine sur deux titres un peu faibles, même si l’urgence folle d’un "I’m Amazed" est loin d’être déplaisante. Pour un album impeccable de bout en bout, il va falloir attendre le suivant… Enfin, ce ne sont pas deux titres (et en bout de course en plus!) qui vont nous gâcher tout notre plaisir ! Hautement recommandable donc.
A noter que Surfer Rosa et Come On Pilgrim ont été réedités sur un seul et même CD : c’est cette version qui est la plus facilement trouvable dans toutes les bonnes crémeries.