Y en a marre du metalcore. Non mais vraiment, ce style est devenu complètement formaté et ne propose plus rien d’intéressant depuis longtemps. C’est le lot de tous les styles musicaux : dès lors que le succès est au rendez vous pour les locomotives, une véritable marée de suiveurs sans talent débarque et conduit à la perte de toute créativité et à la mort de la scène. Mais parfois certains albums redonnent espoir. Earthsblood est l’un de ceux là.
God Forbid n’est ni le meilleur ni le plus mauvais groupe de la « New Wave of American Metal », pas le plus original ni le plus efficace, mais juste un bon groupe parmi tant d’autres qui essaye de suivre le mouvement, comme l’ont prouvé ses quatre précédents albums. La surprise que constitue cet album n’en est donc que plus grande. Car le combo du New Jersey a frappé un grand coup en balançant une petite pépite réussie à tous les niveaux. Tout commence logiquement par une introduction instrumentale au piano sur lequel viennent se rajouter des violons, puis les instruments électriques. Comme d’habitude ? Oui mais cette fois c’est réussi, une belle mélancolie se dégage et laisse augurer du meilleur pour la suite. La suite c’est une première succession de morceaux somme toute assez classiques pour le style, mais diablement efficaces. On retrouve sur "The Rain", "Empire of the Gun" et "War of Attrition" tous les éléments qui constituent l’essence même du metalcore : gros riffs évoquant soit le death mélodique soit le thrash, grosse voix core hargneuse, mélodies heavy metal qui vont bien, breaks, solos techniques et/ou mélodiques et bien sur gros refrains accrocheurs.
Toutes les marques de fabrique du style sont là… et c’est vraiment bon ! Les riffs tuent, le chant est vraiment efficace, les mélodies restent ancrées dans le cerveau, les solos atteignent leur but et les refrains sont difficilement oubliables. Même l’ennemi juré de votre serviteur, le cliché le plus éculé du metalcore, l’élément rédhibitoire et insupportable qui gâche tout, est une réussite : le chant clair, œuvre du gratteux Dallas Coyle, est excellent. D’abord très discret sur le premier morceau, il prend de l’assurance et de la place sur les suivants pour rapidement devenir indispensable, comme sur l’excellent "Empire of the Gun": clair agressif sur le pré-refrain puis complètement clair sur le refrain, toujours avec classe et personnalité. Comme quoi avec les mêmes ingrédients de base que tout le monde, on peut faire quelque chose de très bon. C’est peut être ce qu’on appelle le talent. Si l’album avait continué comme ça, en supposant que la baisse de rythme et l’ennui eurent été évités, on aurait eu un bon petit album, 14 ou 15/20, merci et au revoir.
Mais on n’a encore rien vu. Cette première partie classique mais efficace est brusquement interrompue par un OVNI du nom de "The New Clear". Calme, posé, long, presque atmosphérique mais tendu à la fois, et chanté presque entièrement en chant clair, il marque une cassure nette dans le cours du disque. Car même s’il est suivi par un "Shallow" court et efficace plus classique, la suite de l’album part de manière totalement inattendue dans une toute autre direction. A partir de cet instant, il semble que God Forbid n’a plus qu’un mot à la bouche : épique. La fin de Earthsblood est en effet une succession de longs morceaux aux structures chiadées et à l’ambition décuplée. Les éléments surprenants se succèdent. "Walk Alone" débute par un riff presque rock n’ roll surmonté d’une superbe mélodie de guitare en intro, très heavy 80’s, un excellent riff suit, avant un couplet agressif en voix core, un refrain en voix claire tout simplement jouissif, plusieurs très bonnes mélodies, un passage chanté à deux voix, un superbe solo à la wah wah très 80’s lui aussi, et même un passage où la voix claire fait penser à celle de Blaze Bayley ! Quelle tuerie !
L’exemple même du long morceau épique très réussi car tous ces éléments s’enchainent de manière très naturelle, ce qui est tout simplement un exploit ! Et ça continue avec un "Bat the Angels" à peine moins marquant reprenant plus ou moins les mêmes caractéristiques, plus un très beau break en arpèges atmosphérique et tendu à la fois. Il en va de même avec le morceau titre, ce terrible "Earthsblood" qui commence de manière tranquille avant de partir brutalement sur un couplet surpuissant avec un gros chant bien violent qui fait du bien par où il passe et qui amène logiquement à un très beau refrain (encore un !) en voix claire. Entre temps une guitare acoustique et des arrangements de cordes se sont glissés par là de manière très naturelle sans que cela ne choque le moins du monde. Enfin, "Gaia (The Vultures)" porte le coup de grâce de manière toujours épique mais plus posée, plus mid tempo mais toujours puissante, et s’achève par un passage symphonique calme et triste du plus bel effet.
God Forbid a réussi sur Earthsblood ce que Trivium a essayé de faire sur son dernier album, le décevant Shogun: reprendre les éléments classiques du metalcore, enrobés d’une bonne dose de thrash et de death mélodique, voire de heavy metal traditionnel, et y rajouter une dimension épique inédite, personnelle et ambitieuse. Le résultat est vraiment l’une des bonnes surprises de ce début d’année, d’autant plus agréable qu’elle n’était vraiment pas attendue. C’est pas si mal finalement, le metalcore…