Changement de cap... finies les jams de maboules, bienvenue dans l’ère électronique... une ère prometteuse, si l’on se réfère à cet album. Il faut croire que Tangerine Dream et les synthétiseurs étaient faits pour se rencontrer ; et donner ainsi lieu au premier disque de « Quadro-Stereo-Mono-52 Cosmic Music » ! (et ne rigolez pas, c’est ce qui est marqué sur la pochette) Plus simplement, voici l’un des ancêtres de la musique ambient, l’ouverture d’une brèche dans laquelle vont s’engouffrer Brian Eno, Jarre ou Vangelis... avec un bémol toutefois : ici, il n’est point question de relaxation.
Ici, c’est l’angoisse qui prime. L’inquiétude. L’instabilité... un peu comme le groupe d’ailleurs, qui voit partir Schulze et Schnitzler, chacun lançant sa propre carrière solo (également axée sur l’électronique... coïncidence ?). Froese se retrouve seul, mais pas pour longtemps : il trouve un nouveau batteur en la personne de Christopher Franke, qui ramène avec lui une curiosité : un synthétiseur VCS3. Une drôle de machine, plus facile d’utilisation pour des mathématiciens que pour des musiciens. Mais avec un peu d’entraînement, nos gaillards commencent à produire des sons bizarres, qu’on croirait sortir de... de l’espace ? Oui, exactement ! Voilà qui pourrait donner lieu à des choses intéressantes... et novatrices ! Une voie qu’ils vont poursuivre avec l’arrivée d’un troisième membre, Steve Schroyder, qui fera l’organiste de service, accompagné par Froese : le trio est prêt à nous emmener dans le cosmos... heureux voyage, dites-vous ?
Eh bien... dépaysant certes, aventureux... certainement pas rassurant. Plutôt imprévisible. Les premières notes de "Sunrise in the Third System" pourraient laisser penser que tout ira pour le mieux... mais l’espace, c’est l’inconnu. Et l’homme a peur de l’inconnu. Peur de ces phénomènes gigantesques qu’il ne peut qu’entrevoir... l’Univers est muet, et pourtant des sons viennent... qui surgissent d’on ne sait où pour repartir dans le néant... seraient-ce des esprits ou... une présence dont on ne peut se défaire, qui nous considère comme un étranger et qui a bien l’intention de nous faire passer un sale quart d’heure... comme un mauvais rêve dans lequel on serait prisonnier. Ou alors, auquel on ne voudrait résister ?
Car ce voyage lugubre est traversé par des instants de grâce qui ne semblent être dus qu’au fabuleux hasard qui régit le cosmos... le hasard des machines, vous dites ? Ah, soyez moins terre à terre, et laissez-vous aller... ici, il ne s’agit pas de synthès, d’orgues ou de percus, mais d’une marche sinistre vers un ailleurs qui ne présage rien de bon... "Fly and Collision of Comas Sola", crescendo habile qui n’usurpe pas son titre, laisse d’abord filer une myriade de corps célestes qui vont et viennent comme pour nous défier, puis l’orgue imposant, maître de cérémonie, progresse en intensité alors que le déluge approche ; une flûté possédée tente de l’en empêcher, mais c’est trop tard ; celui-ci survient, terrible, puissant, il résonne, ne laisse plus rien percer, et nous entraîne, nous entraîne...
Vers le vide. "Alpha Centauri", lente, très lente odyssée de vingt-deux minutes, à déconseiller aux claustrophobes. On ne sait ni d’où on vient, ni où l’on va : tout ce qu’on sait, c’est qu’il risque d’y en avoir pour un long moment... tout est flou, jusqu'à ce que la flûte, encore une fois, se propose de nous montrer le chemin, en prenant soin d’éviter le danger... qui rôde, qui rôde... il est tout autour de nous, prêt à voler notre âme au moindre faux pas... mais maintenant que notre vue devient plus nette, il est possible de les éviter... d’autant plus que d’étranges êtres entourés de lumière blanche nous accompagnent... des anges ?
Et puis voilà que la flûte semble s’être perdue... elle erre dans l’immensité de l’espace, durant un temps très (trop ?) long, pendant que les anges se lamentent... et dans un dernier sursaut de panique, alors qu’on ne l’attendait plus, Alpha du Centaure est devant nos yeux... et ses habitants, réunis en une chorale éthérée... leur chant est inquiet, empli de détresse, de fragilité et, paradoxalement, de majesté... et de beauté. Finir le voyage par un moment aussi fabuleux (et relativement mélodique, qui plus est) était une idée de génie. Il m’évoque par moments une marche funèbre... mais plusieurs interprétations sont possibles. Dans tous les cas, le grand moment de l’album.
Sûr que ce genre de disque ne plaira pas à tout le monde : il faut déjà aimer le style « ambient », et également le côté « dépressif » de la musique ; comme je l’ai dit au début, il ne s’agit en aucun cas d’un album de relaxation ; vous pouvez le mettre en fond sonore si ça vous chante, mais pour réellement voir ce qu’il a dans le ventre, il vous faudra l’apprécier seul... et dans de bonnes conditions. Quant à ceux qui, avec ce Alpha Centauri, n’en auraient pas assez : attendez de voir l’album suivant...
N.B. : L’édition remastérisée de 2002 présente un titre bonus, "Ultima Thule Pt.1", titre rock (!) et direct qui reprend la progression mélodique de "Fly and Collision of Comas Sola". Sympa, sans plus...