Sorti de nulle part, monsieur Prohom débarque un beau jour avec cet album qui lui permettra de se faire instantanément un nom. Bénéficiant d’un énorme buzz chez les jeunes, l’album se répand sur Internet comme une traînée de poudre et «tu connais Prohom ?» devient une question rituelle. Ambiances synthétiques maîtrisées, guitares rock et textes étonnamment affûtés et littéraires constituent les bases de cet album qui avait logiquement tout pour faire un carton.
La très longue intro de "Rester En Ville" pose assez bien les bases de la musique de Prohom. Le squelette est indubitablement électro: les séquenceurs ont la main-mise et seule basse et guitare semblent organiques. Quelques influences dub transparaissent au passage et elles se marient fort bien avec le thème arabisant de la guitare… On ne peut que remarquer à ce stade le soin apporté aux différents petits effets, au bruits de fond qui viennent s’ajouter, et aux différentes couches d’arrangements. Prohom sait très bien construire un son riche et fouillé qui accroche directement l’oreille tout en étant plein de surprises et tout à fait à l’épreuve d’une écoute approfondie. C’est valable pour tout l’album: mettez du Prohom à fond dans votre voiture et vous écouterez les chansons en bloc, collez-vous du Prohom sur les oreilles au casque et vous vous délecterez des subtilités et des petites finesses que l’homme a intégrées à sa musique. La production est excellente, instaurant un équilibre parfait entre machines enjôleuses et guitares très rock voire à la limite du métal. Que les machines soient au service d’une atmosphère peace ou contemplative ou qu’elles se mettent à se la jouer dance-floor énergique la pertinence du son est permanente. C’est particulièrement notable pour un premier album.
Sa variété est un autre gros atout. Autant au niveau des sons que des tempos et des ambiances, chaque titre dégage une identité propre. "Pas d’idées" envoie un sample extrêmement vintage (on se croirait dans les années trente) sur lequel viennent se greffer une basse groovy puis une guitare rock. "C’est pas moi" est une compo lente et dépressive, très atmosphérique alors que "Le concours" est carrément techno. Là où l’homme est fort c’est qu’il ne se contente pas de développer des ambiances, mais qu’il réussit à décliner chaque ambiance de plusieurs manières. "Accoudé au bar" est une autre compo lente et mélancolique mais elle ne singe en aucun cas "C’est pas moi". Idem pour "Georges" qui balance sans être un clone de "Le concours". Ce double talent de composition –les bons sons au service des bonnes compos- permet à Prohom d’être un CD gorgé dans lequel chaque titre surprend et prend par surprise. Les chœurs ethniques de "Le Miroir et moi" se marient aux rythmiques dub comme les sons synthétiques de "Ca Oublie d’aimer" complètent les grosses guitares métal de la fin du titre.
Prohom chante en français. Ceci appelle forcément un commentaire sur les textes… Et c’est du sérieux. La voix puissante et expressive de l’homme sert des paroles réellement ambitieuses voire littéraires. Il explore beaucoup de champs avec un succès quasi-total. L’introspection est son terrain de prédilection: si "Rester En Ville" est un bon exemple d’exploration du dégoût et "C’est Pas Moi" une belle interrogation sur la faiblesse, "Le Miroir Et Moi" est un véritable texte de catharsis dans lequel mises en abyme et réflexion psychanalytique affleurent à la surface. Brillant. Prohom traite également du monde qui l’entoure et qui ne lui inspire pas grand-chose de positif : "Mise En Bouche" brocarde la perversion des puissants alors que le chef d’œuvre tant musical que textuel de l’album, "Ca Oublie D’Aimer" -superbe montée en puissance- est glaçant de justesse dans son analyse du devenir de l’homo economicus. Le chanteur sait être allusif: je vous laisse trouver de quoi traite réellement "Le Concours", texte qui ne dévoile son sujet que via des images et de subtiles références. Il sait également être méchamment cynique, le tube "Georges" étant un bon exemple de portrait de gros beauf au vitriol. Ajoutez à cela un art consommé de la formule choc et du détournement de lieu commun («Pour sortir de l’auberge, il faut trouver la clé») et vous obtenez un authentique auteur.
Au final, il n’y a que très peu de choses à jeter sur ce premier album. La versatilité de l’auteur-compositeur-arrangeur-interprète Prohom y brille de mille feux et on ne peut que s’interroger au final sur le gros ratage de l’album, le titre "Heureux" qui le clôt. Texte inutilement nombriliste et pompeux, musique irritante, c’est l’ovni de ce CD. Rien qu’à cause de cette chanson je ne lui ai pas mis le 18/20 qu’il mérite autrement. Même si l’homme prendra avec son opus suivant un virage beaucoup plus pop que je trouve regrettable, il nous reste toujours ce premier album tour à tour violent et enjôleur, impressionnant de justesse et de pertinence. Vraiment très bon.