CHRONIQUE PAR ...
Cosmic Camel Clash
Cette chronique a été importée depuis metal-immortel
Sa note :
11.5/20
LINE UP
-Philippe Prohom
(tout)
TRACKLIST
1)Le meilleur
2)Chez les fous
3)A la bonne heure
4)Un inconnu
5)Autour de Lucie part 1
6)Autour de Lucie part 2
7)La fille du train
8)KO par insomnie
9)Enfin seuls
10)Mon étiquette
11)Grossier
12)Jamais dans le bon sens
13)En forme
DISCOGRAPHIE
Après un premier album magistral à tous points de vue, Philippe Prohom avait amorcé avec son deuxième opus un très net changement dans le son : la part d’electro comme de grosses guitares avait fortement diminué, et les textes s’étaient faits moins offensifs. Prohom abordait toujours des sujets de société (l’environnement en tête), mais dans une veine moins satirique, se plaçant plus dans le constat et les regrets que dans la critique. Allers/Retours est musicalement la suite logique de son prédécesseur, à savoir qu’on continue à adoucir la forme, quittant même la sphère du rock pour entrer dans la chanson parfois. Par contre c’est cette fois-ci le fond qui subit un changement radical...
Il semblerait bien que Prohom en ait eu finalement marre de parler du monde ; il a décidé de parler de lui à la place. "Le Meilleur" qui ouvre l’album fait presque figure de manifeste : l’artiste y annonce qu’il n’a plus de colère à offrir à ses auditeurs, choisissant plutôt de mettre en avant «le meilleur de [lui]». La conséquence directe de cette nouvelle démarche est une main-mise des thèmes introspectifs, voire allusifs et abstraits. Prohom ne traite presque plus du réel, il traite de sa réalité intérieure. Cette orientation n’est pas nouvelle : on se souvient du somptueux "Le miroir et moi" du premier album, exploration virtuose de l’ego et de la si difficile honnêteté nécessaire à la lucidité sur soi. Le problème, c’est que "Le meilleur" est un titre plat et assez évident qui introduit une regrettable nouveauté : des paroles vraiment limites alors que Prohom s’était toujours distingué dans ce champ. Voilà un homme qui nous dit sans rire «je suis comme un courant d'air à la recherche du bonheur» et ça fait un peu mal. La musique est quant à elle très pop, guitare acoustique en avant, et ne présume pas du reste de l’album qui est à ce niveau extrêmement varié.
Car s’il est une force qu’on peut mettre au crédit d’Allers/Retours c’est bien cette variété musicale extrême. On part dans la pop-rock à l’anglaise dans "Chez les fous", on repart dans un electro teinté de rock dans "A la bonne heure" alors qu’"Inconnu" titille le blues et le rock seventies et que "Mon étiquette" aligne un riff hispanisant bien senti avant d’envoyer les machines. Ces digressions musicales sont d’autant plus remarquables que les titres cités partagent par contre une pauvreté textuelle qui laisse un peu pantois. Prohom sait toujours pondre des mélodies, mais il échoue totalement à reproduire l’ambiance d’un asile d’aliénés, il irrite quand il nous assène sa décision de positiver à mort et surtout il frustre quand il trouve une très bonne métaphore («mon étiquette me gratte juste au milieu du dos») mais n’arrive pas à en faire quelque chose de marquant ensuite. On reste comme deux ronds de flan devant "Grossier", titre qui confine à la bouse tant le texte est nul, alors même que l’instrumentation dégage une pêche qu’on n’avait pas entendue depuis le cultissime "Georges" du premier album.
Prohom réussit à éviter le naufrage grâce à une pièce centrale somptueuse, "Autour de Lucie", divisée en deux parties. L’homme retrouve ses premières amours, et ce titre d’electro ambient qui renoue avec l’introduction de "Rester en ville" développe une noirceur hypnotique fascinante. Le texte est un petit bijou d’allusion (non, Lucie n’est pas une femme, écoutez bien) et on retrouve cette manière unique de décrire tout les aspects d’une situation sans la nommer, comme dans le "Concours" en son temps. Prohom prouve avec ce titre et "KO par insomnie" qu’il est mille fois plus inspiré quand il explore le côté sombre, et qu’il maîtrise bien mieux les ambiances synthétiques, contemplatives et malsaines que les guitares joyeuses. Prohom touche quand il entre en résonance avec nos démons, mais dès qu’il tente de se positionner sur un créneau plus positif il est mièvre ("A la bonne heure"), et quand il se lance dans la narration de tranche de vie il n’intéresse pas l’auditeur ("La fille du train"). Excellent dès qu’il expérimente ("Enfin seuls"), il se révèle étonnamment banal et limité dès qu’il tente de faire de la pop. Et il tente souvent...
Allers/Retours est donc une franche déception. Malgré quelques moments de grâce Prohom se fourvoie, et s’entête dans un domaine qui ne lui correspond pas. Il déçoit particulièrement quand son point fort (les textes) devient soudainement un point faible, et sans "Autour de Lucie" on s’inquièterait réellement sur ses capacités à écrire des paroles percutantes et pertinentes. Le concept de l’album et son recentrage sur les émotions aurait pu donner quelque chose de grandiose, mais on ne peut que constater à quel point l’auteur/compositeur/interprète est peu à l’aise dans cette démarche. Dommage...