The Spider's Lullabye a relancé la motivation du King : c'est en effet un an plus tard qu'il propose à ses fans son 7e album, sobrement intitulé The Graveyard, titre qui, pour quiconque connait les penchants morbides de son auteur, ne peut que recéler des promesses d'histoires bien sombres et sinistres. Bingo : The Graveyard marque cette fois le retour des albums conceptuels complets, comme ç'avait été le cas pour ses premiers albums. On l'a dit dans la précédente chronique, King Diamond n'est jamais aussi à l'aise que lorsqu'il raconte une histoire : The Graveyard est donc une autre tuerie de l'infatigable Danois. Il était une fois...
L'histoire de The Graveyard met en scène un employé de mairie (incarné par le King) témoin des brutalités du maire envers sa jeune fille, Lucy. Celui-ci le dénonce, mais le maire l'accuse alors de folie et le fait enfermer dans un asile. L'histoire commence alors qu'après plusieurs années d'internement, l'homme s'échappe et se réfugie dans un cimetière. Devenu dingue à cause de ses années de privation, il se met à zigouiller des gens et à garder leurs têtes, convaincu que l'âme d'une personne décapitée dans un cimetière reste dans le crâne. Tel le pédophile moyen, il enlève Lucy à la sortie de son école et l'emmène au cimetière. Il y téléphone au maire, et lui tend un piège. Il enferme Lucy endormie dans un cercueil qu'il enterre, et dit au maire qu'il a trois essais pour creuser parmi sept tombes afin de trouver celle de Lucy...sinon il les tue tous les deux. Le 3e essai sera le bon, il délivre Lucy et s'apprête à juger le maire (et à le condamner à mort) quand un morceau d'un vitrail se détache et décapite le King...mais son âme reste dans sa tête et il voit Lucy délivrer son père. La tête coupée de King met donc Lucy en garde, et celle-ci, afin d'être protégée, emmène dans son sac en secret la tête tranchée du King...
Un scénario digne d'un épisode médiocre des Contes de la Crypte : parfait pour King Diamond et ses complices. Si l'histoire n'est sans doute pas sa meilleure, la mise en scène (ou plutôt en musique) est parfaitement réussie. Cette fois, King Diamond n'incarne qu'un seul personnage, ce fameux psychopathe coupeur de têtes. Les autres protagonistes, en particulier le maire et Lucy, ne sont que des personnages secondaires. En ce qui concerne la musique, puisqu'il en est malgré tout question, c'est un duo Diamond/Larocque (on ne change pas une équipe qui gagne) en grande forme qui se charge de l'écriture complète de l'album, avec encore une fois une majorité de titres écrits par Diamond seul. Le line-up, qui est l'un des éléments instables du combo, ne bouge cette fois-ci pas depuis The Spider's Lullabye. La section rythmique est toujours aussi efficace et Herb Simonsen fait cette fois jeu égal avec LaRocque, que ça soit en temps de jeu ou en inspiration et talent dans les solos. Non, finalement, la recette ne change pas vraiment, seule la qualité est constante, ce qui mérite d'être signalé : enchaîner quatre albums monstrueux n'est pas donné à n'importe qui.
Non, ce qui fait le sel particulier de The Graveyard, c'est la performance de King Diamond, qui n'aura jamais été aussi possédé. Jamais on n'aura entendu le King aussi inspiré, totalement dans son rôle, poussant ses techniques de chant et ses personnages dans leurs derniers retranchements, dans une débauche de grand-guignol et une approche complètement théâtrale de son expression, encore plus que ce à quoi il nous avait habitué. Que ça soit la terrifiante "Sleep Tight Little Baby", où le King endort la petite Lucy pour l'enterrer vive, ou "Daddy", seul titre ou il incarne la petite qui pleure après son père, prétexte pour King Diamond d'en faire des tonnes dans le larmoyant. Citons encore la performance ampoulée de "Up from the Grave", où jamais King Diamond n'avait paru aussi cinglé, ou encore "I'm Not a Stranger", quand le King essaie de convaincre Lucy de le suivre à la sortie de l'école : glaçant. Criant, geignant, pleurant, riant tel un damné schizophrène, King Diamond n'aura jamais été aussi expressif, au risque de tomber dans le ridicule le plus complet, mais avec un panache et un style assumé qui ne peut que lui donner du crédit. La critique sera facile, mais la performance et la prise de risque méritent mille fois d'être récompensées.
Mais à côté de ces bouffonneries totalement revendiquées, Diamond et LaRocque proposent des titres heavy-metal de facture soignée, aussi inspirés et entraînants que ceux des albums passés. "I Am", "Waiting", "Digging Graves" ou encore "Meet Me at Midnight" sont autant de titres « classiques » (les guillemets sont de rigueur dès lors qu'il s'agit de King Diamond...) de grande qualité, avec toujours des éléments accrocheurs (dus bien sûr en grande partie au talent et au chant de King Diamond, mais pas seulement) et dont aucun n'est réellement à écarter de l'album. Le tout est servi par une production classique (pas de guillemets cette fois, elle est vraiment classique), sans fioritures mais en adéquation totale avec le sujet. Long de plus d'une heure, The Graveyard est un album généreux et équilibré (pas de titres de seize minutes dans le lot, l'approche classiquement heavy de King Diamond ne se prêtant que rarement aux longues digressions, le Danois préférant multiplier les tableaux plutôt que les minutes), dont l'écoute de bout en bout se fait sans difficulté particulière, pour qui en tous cas n'est pas allergique à la personnalité vocale du King.
Une chouette histoire, du talent et de l'audace : voila de quoi rassasier l'amateur de frissons et de heavy-metal. Bien sur, les détracteurs du King trouveront avec cet album du pain béni pour leurs récriminations, mais avec ses trois prédécesseurs, nous tenons là le cœur de l'œuvre de King Diamond. Jamais il n'était allé aussi loin dans l'aspect théâtral et expressif de son chant, et jamais il n'ira aussi loin (à ce jour tout du moins). The Graveyard ferme un peu l'âge d'or de King Diamond, les albums à suivre se voulant résolument moins excitants...mais ceci est une autre histoire, d'horreur, bien sûr...