Jon ayant décidé auparavant de se mettre en retrait et Criss ayant succombé a un terrible accident de voiture, nombreux sont ceux qui auraient pu croire l’aventure Savatage terminée. Heureusement, Jon et le producteur O’Neill en décidèrent autrement, puisqu’ils ont eu la bonne et courageuse idée de continuer l’aventure, bon gré mal gré. Grand bien leur en a pris, d’autant qu’il aurait été dommage d’embaucher quelqu’un du talent de Zak Stevens pour un unique album.
Handful of Rain est donc l’occasion, un peu morbide, certes, de jauger l’influence qu’a pu avoir Criss dans la musique de Savatage. Comme pour brouiller les pistes, on démarre sur les chapeaux de roue avec la bien bourrine "Taunting Cobras", qui verse allègrement et sans pitié dans le thrash metal le plus pur. Bien que le titre soit un brulot assez réussi, il ne donne clairement pas la couleur de l’album, qui se veut résolument calme et porté sur la mélodie. On aurait presque l’impression, à son écoute, que Savatage a mis un temps ses ambitions et son évolution musicale entre parenthèses pour simplement laisser parler la musique. En résultent des titres de facture très simple, mais touchants : la title track, sorte de power ballad puant la sueur d’un bar paumé au fin fond du désert, ou encore la reposante "Stare Into the Sun", dans laquelle Zak se fait plaisir en variant les registres. On sent que certains évènements tragiques sont encore bien frais dans l’esprit de Jon, rendant l’émotion presque palpable ("Alone You Breathe")…
Mais l’album n’est heureusement pas une succession de ballades et de titres calmes. On sera heureux de retrouver, à l’occasion de quelques titres, la suite de l’évolution entraperçue sur Edge Of Thorns, à savoir un heavy metal dont le côté sombre se fait de plus en plus ténu pour mieux s’enticher d’une touche épique pas désagréable. "Castles Burning" est d’ailleurs une nouvelle occasion pour Zak de briller. Sa voix a clairement muri depuis son arrivée dans le groupe et il maitrise bien mieux l’intégralité de son spectre vocal. En fin d’album, le thrash repointe le bout de son nez à l’occasion d’un "Nothing’s Going On" qui arrive à point nommé pour se réveiller le cuir chevelu grâce a un bon gros finish à la double pédale, accompagné d’un solo dément d’Alex Skolnick, fraichement débauché de Testament et qui s’intègre ici à merveille. Finalement, à force de grands écarts stylistiques, l’unité de Handful Of Rain en souffre un peu, ce qui fait qu’en dépit de la qualité des titres qui le composent, on a plus à faire à un empilement de compositions plutôt qu’à un véritable album doté d’un agencement cohérent, censé proposer une certaine progression.
En l’état, on aurait pu juger tout cela comme un petit creux, certes compréhensible, dans la carrière de Savatage. En effet, difficile d’accepter quelque chose de sympathique lorsque l’on est habitué à l’excellence. Heureusement, il y a LA méga-bombe. Et cette bombe est de celles qui justifient à elles seules l’achat d’un album. "Chance", que ça s’intitule. Au premier abord, on pourrait croire à un titre de facture tout à fait classique pour du Savatage, même si on notera déjà une construction travaillée : introduction douce au piano et à la voix, puis lente montée en puissance alternant des passages très doux et du bourrinage épique pour enfin déboucher sur un gros riff heavy metal mid-tempo tout simple, mais qui claque. Mais après un petit passage symphonique, on déboule sur le gros morceau de ce titre : un passage vocal de folie, sur lequel Zak empile des lignes vocales toutes plus réussies les unes que les autres, faisant progressivement monter la sauce pour enfin arriver à l’orgasme auditif promis !
Bref, rien à faire : contre vents et marées, Savatage s’est encore débrouillé pour pondre un indispensable dans votre discographie. Tant pis pour votre porte-monnaie, tant mieux pour vos oreilles, puisque cela promet encore de nombreuses années de plaisir en compagnie de ce groupe à l’histoire décidément singulière.