Le nouvel album de Pensées Nocturnes plonge dans une esthétique bizarre et fantastiquement bouffonne. Une synthèse d'ingrédients obsessionnels rarement atteinte avec autant radicalité et de cohérence: airs de foire dégénérée, cirque ambulant de la folie, grimaceries noires à faire vomir. Une déconstruction au service de l'amoral. Le black métal qui sert une cuisine de mauvais goûts. Le grotesque conduit par un orchestre dépravé. Pas vraiment obscène mais tout à fait malsain. Rire en serait bien malvenu.
Grotesque est un touillage de gammes classiques désaccordées, d'élans lyriques déplacés, de pitreries ambulantes – de celles qui réveillent la peur qu'inspirent les clowns alcooliques et pitoyables – et de métal obscur. On se figure le gosier noir sans fond d'une de ces figures grotesques prête à nous aspirer, à nous avaler tout cru. On s'imagine aisément la longue chute jusqu'aux Enfers, emprisonné dans ces parois de muqueuses diablement luminescentes. Gare à ne pas se perdre soi-même à écouter la mascarade en entier. La noirceur en est opaque, pesante, dangereuse pour qui se tient déjà au bord du gouffre, l'esprit à moitié en folie, le cœur en désespoir. Ces Pensées Nocturnes ne vous montreront certes pas comment dissiper le cauchemar. Elles auront même quelque malice à vous guider d'avantage à votre propre perte, à enfoncer votre tête sous les fanges d'un dégoût de soi accablant, jusqu'à l'étouffement, jusqu'à l'expiration.
De sang il ne sera même pas question. Aucune couleur sinon les bruns de la boue et le charbon soufré. L'expiation par la souffrance est du choix de l'auditeur. Ou alors interrompre l'écoute, avant que l'irrémédiable ne se soit inscrit dans l'esprit et dans la chair. La spirale musicale s'enroule à l'infini mais ne mène nulle part. On tourne en rond, c'est le propre de l'Enfer. Les interludes bouffons pillent les seules émotions humaines restantes. Puis sont cruellement ravagés par des trombes ténébreuses, esprits hurlants terrifiants sans substance. Chaque sortie nous laisse vide, assèche un peu plus le tableau intérieur. Le temps est mis à profit, la désolation marque d'autant plus lorsqu'elle séjourne longtemps dans un esprit. De logique, il n'est nul besoin. Il suffit de persuader, de s'insinuer sans violence, d'établir l'évidence de la mort quelle que soit sa forme. Des pensées, oui. Mais des idées noires. Les rêves n'existent plus, réduits aux seuls cauchemars.
Chaque détail est un argument supplémentaire pour montrer le ridicule de la vie. Un coucou sonne une heure, dérision du temps. Le lyrisme baroque renvoie aux ornements pitoyables de l'apparence, déshabillée et laissée en carcasse vide, même pas sanguinolente. Même ce signe de vie sera banni. Les embryons de chant déplorable dénoncent le carnaval des hommes, explosent la vanité de l'existence. L'abîme est-il ainsi plus désirable? L'absolution par l'anéantissement de soi. La musique sacrée submerge le croyant et le profane, le divin est l'autre porte de salut. Croirait-on ainsi échapper au pire? Mais autre époque: un piano joue la partition d'un clavecin. On écoute cette harmonie retrouvée, le plaisir des notes enchaînées qui font sens. En prise de nouveau avec la réalité plus éclairée, aux émotions moins lourdes. Et pirouette finale: par dépit, énervement ou alors plutôt dernière pique gratuite du musicien, pour conclusion mélodique le morceau n'aura que des fausses notes. Au suivant.
Etait-il nécessaire de s'enfoncer si loin dans les ténèbres ridicules, d'assembler en une seule création autant de cynisme grotesque pour une vision fantastique presque subversive? Le parti pris artistique est total. Grotesque dépasse les limites du supportable jusqu'à faire dérailler les esprits. Que celui ou celle qui s'y plonge corps et âme le fasse à ses risques et périls. On ne discute pas ici d'imagerie vendeuse ou de provocation convenue mais d'un voyage intérieur dont certains pourraient bien ne pas trouver le chemin du retour.