Souvenez-vous : l’an dernier, on a eu droit à The Devil’s Blood, collectif anonyme voué entièrement à la cause de Satan, qui avait fait grand bruit en publiant une première « offrande » au nom aussi ronflant que son dossier de presse était hilarant, à base de « musique anti-kosmik » et de « conditionnement aux vibrations du côté obscur » totalement 1er degré. Sauf que le résultat avait tout du heavy début-70’s pépère, loin de la musique traumatisante à laquelle on pouvait s’attendre. Eh bien Ghost, c’est exactement pareil. Mais en mieux.
Une raison pour laquelle le Devil’s Blood ne fonctionnait pas, c’est qu’il n’avait pas le son. Ça se voulait nostalgique, mais la production était trop lisse, clinquante, pour parvenir à convaincre le chevelu de plus de quarante ans. Une erreur que Ghost met un point d’honneur à ne pas commettre : Opus Eponymous, à l’image de sa pochette, c’est vieillot, enfumé, gonflé à la reverb, sans que le caractère artificiel du procédé ne paraisse à l’oreille. L’orgue et la guitare, prédominants sur le disque, ont ce grain, cette poussière et cette chaleur qui vous plongent quarante ans en arrière, bien que ce passé soit totalement fantasmé : ni les musiciens, ni 95% des auditeurs n’auront connu cette époque. Mais on y croit, c’est bien l’essentiel ! Et on marche d’autant plus que derrière, ces Suédois sont capables de fulgurances assez impressionnantes… bah ouais, c’aurait été dommage de vendre son âme au diable sans être capable de pondre un tube derrière, non ?
Et pour maximiser leurs chances, ceux-là ne sont pas plus bêtes que d’autres : ils basent tous leurs morceaux, ou presque, sur une formule. À savoir : en plus du son vaporeux suscité, Ghost a un penchant pour les voix frêles, peu assurées mais qui, à l’unisson, vous pondent des harmonies hallucinantes. Ouais, ils adorent ça, et utilisent sans se gêner ce gimmick sur trois morceaux d’affilée… sauf que ça marche à chaque fois. Ces trois titres sont des bombes, et exactement pour les mêmes raisons : un format ramassé, une science du riff mélancolique et majestueux, un goût pour l’accompagnement à l’orgue, des solos minimes mais précis… et donc, ces bon dieu de refrains en harmonie qui sortent de nulle part, trop pop pour accuser une influence seventies, mais qui trouvent si bien leur place dans cette atmosphère gentiment vénéneuse.
Parmi ces titres, "Ritual" est celui qui fait la plus forte impression, d’une part parce qu’il est le premier, d’autre part parce qu’il est le mieux construit et résume parfaitement tout ce qui rend ce groupe bonnard. Une gueule de classique, et un bon potentiel pour figurer parmi les titres les plus marquants de 2010. Ses deux successeurs se défendent presque aussi bien : le single "Elizabeth" est moins percutant, mais plus chargé en ambiance cotonneuse et sulfureuse ; quant à "Stand by Him", il compense la faiblesse relative de son couplet en offrant LE refrain du disque, d’une classe impériale, qui utilise les harmonies vocales du groupe à leur maximum. Alors après ça, la seconde moitié d’Opus Eponymous paraît plus faiblarde, en tout cas moins chargée en chorus béton, mais ce qu’elle perd en immédiateté, elle le compense en atmosphère, notamment sur la rampante "Death Knell", toute en perfidie et viscosité. Et puisque vous ne lisez pas une chronique du Flower King, on ne pourra s’empêcher de remarquer que l’instrumentale "Genesis" se termine… comme du Genesis, finalement. Ce qui n’est pas la plus mauvaise façon de clôturer les hostilités.
Satan aime donc les jeunes imberbes aux voix mal assurées, prêts à chanter ses louanges dans le grenier de Tonton ? Mais oui ! Et il a bon goût, le salaud. Ses nouveaux protégés sont dangereusement passéistes, certes, mais avec un sens mélodique pareil et un tel amour du bon son champêtre, on ne va pas faire la fine bouche, pour une fois. Une bonne surprise, qui sied à merveille à un hiver glacial, histoire de se réchauffer le cœur…