Philippe Manœuvre disait, lors d’une longue conférence assez chiante, que pour savoir si un chanteur était un « rockeur », il fallait regarder s’il y avait dans le coin un guitariste de génie, une vraie personnalité, innovante et technique. « Et la névrose du chanteur ?! », m’écris-je, « Philippe ! La névrose du chanteur ?! » Alice In Chains, Pearl Jam, Nirvana, Nine Inch Nails, Strapping, Korn, Joy Division, Opeth, Tool, Megadeth… Voyez l’idée ? Un leader. Légèrement névrosé. A chaque fois.
De la première note de basse de McKagan sur "Right Next Door to Hell", à la dernière frappe de Sorum en toute fin de "Coma", plusieurs choses sont à noter, à commencer par cette voix si particulière qu’est celle d’Axl Rose. Chaude, parfois criarde, nasillarde, irritante, multiple, capable de belles prouesses respiratoires (la longue fin de "Don’t Cry", l’interminable tirade finale de "Coma") un chant caméléon schizophrène capable d’être rageur, genre « je gueule en te filant des coups de lattes », sur (les morceaux les plus faibles) "Perfect Crime" ou "Garden of Eden", de se faire bas façon crooner sur "Bad Obsession" ou le slow ultime "Don’t Cry". On aime ou on n’aime pas. Beaucoup n’aiment pas, d’autant plus que le monsieur en fait des tonnes. Là où sur le précité Appetite il se contentait de chanter, il utilise ici un panel assez démonstratif et parfois pénible.
Deuxième chose à noter, la quantité incroyable de morceaux « bof » ou « moyen bof » sur cette galette remplie à ras la gueule (76 minutes, le max du max pour les années 90 !). Citons "Perfect Crime" (deux minutes d’un chant poussif, d’un riff banal, un refrain lourdingue agrémenté d’un jeu de Sorum assez bateau), "Bad Obsession", qui aurait gagné à être soit raccourcie, soit accélérée, "November Rain", ballade sirupeuse abjecte et interminable, plombée ici encore par un Sorum inefficace, des chœurs débiles (qui s’imposeront progressivement en live également), et un refrain façon chamallow dioxiné, "Garden of Eden", (même remarque que pour le crime parfait). Très loin d’un Appetite For Destruction qui ne comptait vraiment qu’un morceau faible, "Anything Goes", pourtant agréable à écouter, Use Your Illusion, partie I, ne décolle vraiment qu’à de rares moments.
Troisième chose à noter, les zicos. La plupart des parties solos de Slash sont parfaitement exécutées, avec ce feeling et le toucher qui lui sont propres (l’arrachage de corde sur "The Garden", la montée sur "Don’t Damn Me", la mélodie extraordinaire et toute simple sur "Coma", la mythique partie de "Double Talkin’ Jive" qui se termine sur quelques notes sèches et mélancoliques), le reste du groupe joue la cohésion, on ne pourra pas s’extasier sur le jeu de McKagan (qui, pour le coup, n’a jamais été un bassiste très démonstratif), sur les rythmiques de Stradlin, les éternels roulements de toms et autre tabassage de clair de Sorum (qui n’est pas aussi léger que Adler, viré pour problème de drogue pendant l’enregistrement, un comble), mais pour autant il se dégage de l’ensemble une impression de cohérence solide, les morceaux s’enchaînent tout seul, les minutes s’égrènent et on se retrouve déjà aux premières notes de basse sur "Right Next Door to Hell".
Bon, on est bien parti pour un consensus mou. Chroniquer Use Your Illusion, c’est prendre le risque de réaliser que c’est un album finalement trop long, avec des morceaux assez faibles pris séparément, une reprise des McCartney assez chiante, et l’absence de morceau vraiment fort. Et pourtant, je vais lui coller une bonne note. La faute à l’ensemble, étrangement homogène oui, la production, chaude et précise, la variété des morceaux, les très bonnes parties de Rose et de Slash, qui donnent raison à Manœuvre sur la présence du guitariste technique et innovant proche du chanteur… Et puis rien que pour "The Garden", chanté avec Papy Cooper, ou "Coma", l’un des tous meilleurs titres du groupe, il mérite sa note.
Moins bon que le second volet, nous y reviendrons, Use Your Illusion I reste quand même la preuve que les Guns étaient des vrais rockers, une sacrée bande de branleurs conscients d’avoir le monde dans leurs mains. Axl s’impose en leader charismatique et tyrannique en devenir, le groupe file déjà vers l’implosion alors qu’il ne pose que sa deuxième pierre à l’édifice du rock et ils se permettent de sortir la suite SIMULTANÉMENT. Des fous. Des vrais fous.