Récemment, j'ai ironisé sur la paresse de Megadeth qui avait intitulé son dernier album Th1rt3en. Logiquement, je devrais en faire de même avec Rage (qui d'ailleurs était lui aussi passé par la case XIII…). Sauf que bon, quand même, 21 albums (en même pas 30 ans !), sacrée performance que même des mastodontes à la très longue carrière comme Black Sabbath, Scorpions, le Priest ou AC/DC n'ont pas accomplie. Et tant pis si cette suractivité, à rapprocher de la légendaire incapacité du groupe à faire le tri dans ses compositions, a sûrement coûté à Rage une position plus flatteuse dans la hiérarchie du heavy…
Fin 2011, Wagner et Smolski ont annoncé une nouvelle qui allait ravir tous les fans peu convaincus par l'accentuation des éléments orchestraux sur les dernières productions de Rage : la création d'une entité spécifique pour poursuivre le mariage entre metal et musique classique, forcément baptisée Lingua Mortis Orchestra. Conséquence logique, cela signifiait que Rage allait se concentrer sur le heavy, et le tandem ne s'est pas privé d'en rajouter une couche en annonçant qu'ils bossaient sur un album très agressif, histoire de jouer à fond sur la fibre nostalgique. Evidemment, nul n'est forcé de croire au sempiternel discours promo bien rôdé des musiciens, qui nous ressortent toujours les mêmes poncifs, quand ils ne mentent pas comme des arracheurs de dents. Ceci dit, en jetant un coup d'œil à la liste des titres, on se dit que pour une fois, il y a peut-être du vrai.
Et effectivement, il y a bien un certain durcissement au niveau des compositions. Des riffs plus basiques et frontaux, des tempos un peu plus débridés, et plus surprenant, un Peavy qui s'offre plusieurs sorties remarquées dans un registre evil : jamais sur un titre complet, mais plutôt sur certains passages, notamment sur "Serial Killer" ou "Forever Dead". On note également un recul assez net des refrains « joyeux », véritable talon d'Achille des derniers albums, même si ceux-ci n'ont pas non plus complètement disparu. C'est ainsi que Rage plante bêtement "Forever Dead", qui avait tout pour figurer parmi les bons moments de l'album sans ce refrain foireux. Donc oui, on peut effectivement qualifier ce 21 d'agressif, même si sur ce point, il ne semble pas surpasser les albums de la première moitié des 90's ni même Unity. Après, est-ce que cela suffit à en faire un bon album ?
La réponse est non, malheureusement. Comme tout album de Rage, 21 ne manque pas de bonnes chansons : "Feel My Pain", "Serial Killer", et même "Forever Dead" en dépit de son refrain raté ; toutefois, il n'y a rien de suffisamment marquant au point de se dire « ah oui, 21, c'est l'album sur lequel figure "…" », comme on pouvait le dire de "Empty Hollow" sur l'album précédent. En revanche, on y trouve d'étonnantes maladresses pour un groupe avec autant de bouteille : il faut vraiment que Smolski soit très fier de son plan de guitare mélodique sur "Serial Killer" pour nous le servir trois fois ! Plus triste encore, sur 10 titres, on dénombre un certain nombre de morceaux plutôt faiblards, notamment les deux derniers, ce qui est bien mauvaise façon de finir un album. On ajoutera aussi à la liste "Death Romantic", lancé sur de bien mauvaises bases par un riff d'une banalité affligeante.
Que retiendra-t-on de 21 au final ? Son morceau-titre déjà, habile référence aux joueurs compulsifs (il fallait y penser), grâce à un refrain fort réussi bien qu'ultra-classique de la part de Rage. On relèvera aussi le savoir-faire indéniable du groupe pour pondre du heavy assez soft avec de grandes qualités mélodiques. Ici, outre "Feel My Pain", c'est surtout "Black And White" qui marque les esprits, là encore grâce à la ligne vocale du refrain qui lui permet de tirer son épingle du jeu. Mais s'il ne fallait retenir qu'un seul titre de cet album, ce serait assurément "Destiny", sûrement le seul très bon titre de l'album. Le style de riff et le tempo échevelé nous ramène tout droit à l'époque des "Black In Mind" et autres "Under Control", et le refrain majestueux vient porter le coup de grâce. Autant dire que cette chronique aurait été beaucoup plus enthousiaste avec davantage de titres de ce calibre…
Entre un groupe qui a su créer sa propre patte et un groupe qui tourne en rond, la frontière est ténue. Question du jour : peut-on encore attendre de Rage, qui a publié plus de 200 chansons dans sa carrière, de se renouveler encore un peu ? Evidemment, on l'espère toujours secrètement, ce qui nous permettrait en plus de ne pas répéter la même chose à chaque nouvelle sortie ; malheureusement, il faut croire que solide tandem Wagner / Smolski, en poste depuis une douzaine d'année désormais, a définitivement sombré dans la routine. Chaque nouvel album n'est donc qu'un simple reflet de la forme du moment – en l'occurrence, correcte, mais loin d'être époustouflante.