De Skepticism, on ne peut rien exiger. Cette entité gigantesque se meut à son rythme, à intervalles plus ou moins réguliers. Malgré un premier mouvement remontant à l'année 1992, Alloy, sorti en 2008, n'est que le quatrième album des titans finlandais. Après tout, ce rythme de sortie coïncide avec le rythme du genre pratiqué par Skepticism : le funeral doom. Car en plus d'avoir largement contribué à la genèse du style avec le séminal Stormcrowfleet, la formation persévère. Si monde évolue et change en permanence de manière hystérique, Skepticism reste plus monolithique que jamais.
Si le fond ne change guère, et nous y reviendrons, la forme, elle, a évolué. En bien. En 2008, Skepticism a fait sa mue. Le son cotonneux des trois premiers albums s'est envolé pour céder la place à un marbre d'une densité effrayante. Tout est plus lisse, plus dur, plus noir aussi. Les guitares ressortent clairement, la voix est mise en avant, la batterie est encore plus profonde et l'orgue occupe quasiment tout l'espace. L'orgue : ce nouveau maître des lieux, ne disparaît jamais. Sur "March October", il guide le visiteur esseulé au sein de l'austère édifice. Sur "Antimony", il effraie grâce à quelques mélodies venues d'ailleurs. Le colosse se réveille sur cet Alloy, et c'est tant mieux. La procession n'en est que plus belle.
Le propos n'a en revanche pas changé durant ces 5 années écoulées depuis l’inquiétant Farmakon. Le funeral doom reste au cœur du discours des Finlandais. Paradoxalement, les précédents opus n'étaient pas aussi bruts que cet Alloy. Ici, la puissance des instruments, le caractère implacable des riffs et l'âpreté des mélodies concourent à faire ressortir la tension propre au genre ("Pendulum", tragique). Mais la musique de Skepticism n'est pas si triste que l'on pourrait le penser. Autrefois, elle savait se faire quasiment contemplative. Aujourd'hui, elle est avant tout massive, les reflets métalliques ayant finalement pris le dessus. D'une densité incroyable, l'album n'en délaisse pas pour autant la mélodie, toujours présente et ridiculement envoûtante ("Oars In The Dusk").
Comme de coutume, il faut s’imprégner, lentement, de ce lourd récital. Il faut encaisser le choc, l'apprivoiser pour finalement se laisser faire. Toutefois, et contrairement à l'énorme majorité des acteurs de la scène, Skepticism parvient à innover. Sur Alloy, les longues introductions ambiantes sont mises de cotés. Dès "The Arrival", l'auditeur est placé au cœur du sujet. Le riff s'enclenche immédiatement là où il aurait naguère fallu patienter encore et encore. Alloy ne permet aucun repos. L'énorme bloc est frontal et fonce droit sur nous, en permanence. Les transitions sont parfois éludées pour mieux nous fondre au milieu de la masse. Somptueuse et délicate situation.
Skepticism est mort, vive Skepticism. Le changement effectué sur Alloy est à la fois minime et énorme. Minime quant au propos, toujours aussi funéraire, mais énorme quant à la présentation. L'éclaircie qui frappe la musique ne sert finalement qu'à mieux diffuser la triste aura déjà présente sur les efforts précédents. Une mauvaise critique résumerait Alloy à l'album de la maturité ; or, mature, Skepticism l'était dès le départ. Ici, il n'est pas question de maturité mais de grandeur. Et à cette vue, l'avenir semble effrayant de démesure.