2009, Manimal se rappelle au bon souvenir de chacun par le biais de "Michael", nouveau titre mis en ligne avec la promesse d’un album. 2010, de nouveaux morceaux sont joués sur scène et la suite est annoncée pour bientôt. 2011, la galette est composée depuis un moment et jouit même d’une bonne préproduction qui augure du meilleur quant au produit fini, alors que les toulousains visent à démarcher de conséquents labels, afin de viser un public international. 2012, la nouvelle tombe : Vidda, principal compositeur du groupe, annonce son départ. Et la France de pleurer sa race dans les chaumières.
Par bonheur, les Toulousains n’ont pas pour autant décidé de laisser les choses en plan. En plus d’une petite tournée d’adieu entamée depuis peu, Multiplicity, ce fameux troisième – et par conséquent dernier – album de Manimal sort enfin, d’abord au format numérique, via les plateformes usuelles, mais aussi en format physique, directement auprès du groupe. Bonheur, larmes de joie, cris de jouissance. Et puis écoute, tout de même. La voie entamée par Succube, celle d’un death metal groovy archi-barré et à l’apparence destructurée, serait-elle celle de cette ultime cuvée ? Faudrait-il redoubler de temps, pour certains, d’efforts pour d’autres, voire d’aspirine pour ceux du fond qui ne suivent pas, afin de cerner la nouvelle forme de la bête ? Les extraits mis en ligne, les titres joués sur scène, ainsi que les interviews données par les membres (déjà bien avant que le processus de composition ne soit entamé) donnaient pour certains des indices, pour d’autres, annonçaient carrément la couleur: plus direct, plus calibré dans les structures, moins de tricotages, moins de suraigus. Voilà ce qui serait au menu. Maintenant que l’album est enfin disponible, inutile de tergiverser : ils disaient vrai.
À l’instar de ses prédécesseurs, Multiplicity ne se prive pas d’envoyer directement l’auditeur dans le bain et c’est à "Michael", déjà connu des habitués, que revient la tâche d’ouvrir le bal. Première impression notable, et d’importance, le groupe jouit enfin d’un son qui lui fait honneur. Sous-accordage aidant, les guitares sont lourdes et rondes à souhait, se mariant bien mieux à la basse qu’auparavant, avec pour effet de renforcer le groove des riffs, quant à la batterie, adieu les coups pas loin d’un kit « Teffal-en-teflon » des précédentes productions, bonjour puissance et netteté qui permet de profiter à fond les ballons du jeu ahurissant de Brice. L’ensemble de la production (signée Vidda lui-même) est de ce de que l’on peut qualifier de « moderne », mais sans rattacher le terme à une scène quelconque. Bref, c’est propre, net, sans pour autant manquer de chaleur ou de vie. Mais revenons-en à cet opener. Dès la première écoute, on se trouve en terrain connu : les riffs groovent honteusement, la batterie tabasse délicieusement et voilà qu’arrive le chant. Qui surprend. On savait Julien Cassarino doté d’une palette vocale bien élargie. Le bougre n’hésite quand même pas à le rappeler, histoire de, en plus de montrer ses progrès.
Le chant, ce truc qui fait que l’on accroche ou non à Manimal. Si les avis sont partagés, il s’avère indéniable que l’on a affaire à un véritable monstre de technique. Monstre qui ne cesse toujours pas d’évoluer. Le terme progrès est évident : tant dans la diction que dans le débit, sans parler de la justesse, on note une avancée notable dans la maîtrise vocale qui fait peur à l’écoute. Ainsi qu’une progression dans l’élargissement des grains utilisés. Si les hurlements mélodiques suraigus se font moins légion – ils restent pourtant présents, tant mieux d’ailleurs – c’est pour laisser plus de place à un growl situé dans les graves qui marque une bonne nouveauté, ainsi qu’au chant clair, lui aussi encore mieux assuré qu’auparavant. A capella murmuré, saturé mélodique, growl de la caverne, hurlé mélodique suraigu, chant clair de sa race bien souvent soutenus par des chœurs bienvenus voire spoken words, voilà un échantillon de ce que contient les neufs titres de l’album sur le plan vocal. D’autant qu’en dehors de l’aspect technique, c’est un véritable travail d’interprétation proche du rôle de comédien dont Ju fait preuve. Et pour cause, chaque morceau correspond à un personnage différent.
Qui dit multiplicité et plusieurs personnages différents dit variété dans le propos musical. Le groupe remplit le contrat tout en respectant les limites qu’il s’est imposées, soit une musique au résultat plus dans ta gueule, des riffs toujours bonnards et mémorisables et des structures qui aident à ne pas trop se perdre. Comme dit précédemment, des titres comme "Michael" ou "Nicholas" annonçaient plus ou moins la couleur, mais c’est avec le génial "Corey" que l’on se rend compte que l’élixir de kiff coule véritablement des murs tant tout déborde d’une efficacité catchy au possible. Le tout avec un véritable refrain ! Soit une bonne rupture de vertèbres au programme, une fois la surprise passée. Variété donc, car caché sous forme plus directe, Multiplicity regorge de subtilités et de richesses, tant dans la brutalité des plans proposés (le bourrin "Christian" ou le génial "Frank") que dans les atmosphères créées (le glauque "Laura" avec Lussi de My Pollux à la prestation bien balaise ou le superbe "Ben" dont la progression suit l’état de ce triste personnage alcoolique). Sans compter la surprise finale que crée le final "Edmond". À l’instar de toutes les facettes dont fait preuve une seule et même personne, l’album s’avère fort riche en couleurs.
Formation considérée au départ comme un simple side-project de Psykup et consorts, Manimal est devenu en l’espace de deux albums une valeur sûre de la scène française, en plus d’être doté d’une personnalité de composition et d’interprétation qui marquaient le côté unique de ces Toulousains. Un melting-pot d’influences digérées avec brio, où Cannibal Corpse faisait des enfants à Faith No More, sous l’objectif de la caméra de Strapping Young Lad. Multiplicity est à la fois le testament et l’héritage de l’histoire de ce groupe atypique.