La Suisse... pays bien curieux où peu de formations extrêmes ont à elles seules donné de sales idées à d'autre, comme assommer leur auditoire de virtuosité à tomber tout en cassant sa chaise. De ce pays, la plupart des fans ont retenu des groupes comme Celtic Frost, Coroner et Samael. Et accessoirement certains groupes comme Excruciation ou encore Carrion. Mais la curiosité vient de deux éléments concernant le groupe chroniqué ici. En effet, le death metal, lui, aura connu son porte étendard grâce à Messiah, groupe helvète gavé aux influences comme Hellhammer, Slayer et Possessed. Curiosité en plus : en 1986, sortir un album cherchant à toucher le death metal du bout des doigts était peu courant, et le faire avec son propre label et avec des bons moyens l'était encore plus.
Chainsaw Murder, label moins culte que Posercorpse (label sur lequel Mayhem avait sorti Deathcrush ), maison du copain aux zicos (Dinosaur), avait déjà produit une cassette live enregistrée en 1985, et se contentera de groupes de thrash tantôt bourrins (les Chiliens de Pentagram), tantôt pesant et malsain, n'ayant retenu de Hellhammer que "Triumph of Death". Hymn to Abramelin, sorti en deux éditions dans la même année, témoigne d'un certain professionnalisme assez précoce malgré la cultitude moindre que celle de Sepultura ou Slayer la même année. Le son, lourd et assez fort, montre un thrash résolument violent, pesant et ponctué de riffs au groove accrocheur. En se resituant dans le contexte du merveilleux millésime 1986, il est plus qu'intéressant de se pencher sur les deux premiers albums de ce groupe helvète aujourd'hui disparu. D'autant plus qu'un certain élément va rendre difficile la classification de Messiah dans le thrash (même si, avec Slayer ou Bathory, on en avait vu d'autres) et a justifié l'engouement des fanzines thrash.
Messiah structure l'album avec des citations littéraires démarrant chaque morceau, comme pour donner une ambiance différente du satanisme habituel. Broggi déploie un jeu assez simpliste, mais dont les riffs over-speedés, ou en mid, ne ressemblent qu'à peu de groupes. Le premier morceau, "Messiah", nous présente un thrash explosif, rapide et obscur rappelant Destruction et mieux exécuté que Sepultura sur Morbid Visions. Même si la batterie est peu dynamique et surtout assez linéaire et basique, malgré un jeu redoutable et assez avare de breaks, le tout séduit de par un jeu de guitare totalement obnubilé par Venom et Slayer. Et en plus, elle est soutenue lourdement par une basse bien ronde, bien que parfois délaissée par la guitare au moment des solos. Solos qui, d'ailleurs, renforcent cette furie speed et death. Mais surtout, Tschösi, le bassiste / chanteur, nous agrémente d'un chant extrême pour l'année 1986. Écorché, horriblement vomi, torturé et complètement hystérique, ce chanteur semble précéder Chuck Schuldiner d'un an, et réduit les cris bestiaux de Max "Possessed" Cavalera au rang de pur amateur.
Certes, ces compositions, très thrashisantes, resteront confinées dans l'ombre de l'autre trio suisse, qui, au passage, avait systématiquement pondu des chefs d'œuvre, mais elles témoignent d'une sincérité et d'une volonté de faire un style extrême. Hymn to Abramelin oscille entre de bonnes trouvailles rythmiques et un esprit sombre et rentre-dedans qui va si bien à ces groupes influencés par Mike Torrao et cie ou encore Schmier, Mike et Tommy. D'autant que certains morceaux sont tellement agressifs, sinistres et lourds, que ce thrash serait teinté de heavy (notamment sur "Empire of the Damned") et assez proche du death metal avec le chant et les riffs dangereux de morceaux comme "Future Agressor". Et chose peu courante, cet album surprend par son dernier morceau, "The Dentist", cherchant visiblement à endormir l'auditeur (Coroner allait faire pareil, mais en période de thrash intello) avant de le démolir pour de bon. Ici, même structure : une guitare lente et rapide par intermittence, attirante et ponctuée par les éructations dingues du chant, tel Araya atteint du syndrome de la Tourette.
Œuvre thrash des 80's majeure bien que tombée dans l'oubli malgré deux autres albums terrifiants, Hymn to Abramelin est un manifeste du rare phénomène de l'auto-promotion (le groupe laissera tomber le label après Extreme Cold Weather et un EP d'Excruciation ). Sans innover, Messiah est un groupe intéressant, limite original sur un aspect ou deux, pour voir ce qu'étaient le death et le black dans les années 1980, avant de prendre les caractéristiques connues de nos jours. Bref, si vous voulez du thrash méchant et obscur, et si vous trouvez les débuts de Sepultura trop pourris ou les débuts de Tom G. "Warrior" plutôt répétitifs, cet album est pour vous. Avec le suivant bien évidemment.