Cela existe, les groupes attentionnés envers les fans au point d'inclure un cadeau à l'intérieur de leur skeud. Alors, sans penser à une Saint Valentins improvisée, il arrive qu'on vous offre une lame (pour se raser, ont pensé les blackeux en cause), un rat mort (si, si). L'oscar du cadeau de métal provocant offert en bonus reste détenu à ce jour par ce coquins de Vikernes, qui décida d'inclure dans le bon EP Aske (argh, "Stemmen Fra Tårnet")... un briquet. En écho aux incendies d'église, il ne fallait pas s'en étonner. Quant au cadeau improbable, le record est détenu par Messiah, groupe suisse qui offrit dans une version limitée de ce Extreme Cold Weather, un dentifrice et une brosse à dents ("The Dentist" est, certes, un excellent morceau). Bref, déterminé à balancer un brûlot thrash, le groupe suisse se fait enfin remarquer par les magazines de hard à gros tirages qui s'intéressent plus à la face A qu'à la face B.
N'ayant eu droit qu'à une journée d'enregistrement et de mixage, Messiah ne pourrait se contenter que d'un son moyen, d'une batterie inaudible et d'une basse absente. Et bien, contre toute attente, ce n'est pas le cas. Si la production a oublié le caractère opaque, oppresseur et incisif de Hymn to Abramelin, on n'a pas affaire pour autant à du heavy. En fait, l'ambiance générale est juste plus aérée, et jette sur nous un vent digne de la Sibérie orientale (superbe, au passage, la pochette). Le son de guitare, qu'on pourrait rapprocher du meilleur son d'un synthétiseur, reste correct et rend tout de même les morceaux suffisamment agressifs et puissants. Broggi, qui restera le seul après cet album, voit son jeu de guitare devenir meilleur, avec des solos plus travaillés. Le groupe le montre avec son grand instrumental : "Hyperborea". La batterie, qui a gagné en épaisseur, se veut plus convaincante, mais au niveau de la technicité, on est encore assez loin des standards de l'époque. La basse, elle, se fait entendre et réussit à soutenir superbement les riffs mélodiques de "Johannes Paul Der Letze (Dedicated in Hate to Pope John Paul II)", et les arpèges en son clair du morceau éponyme "Extreme Cold Weather", tout en mid assez énergique et un peu feeling.
Mais là, stop !, Messiah reste toutefois impitoyable en terme de thrash : les riffs sont over-speedées comme jamais, et sur ce fameux "Johannes...", elle s'essaie même au blast et aux roulements sur la caisse claire. Et il faudra aussi noter les rythmiques militaires et bien thrash de "Radezky Marsch". Prenez l'enchaînement entre le premier morceau et "Enjoy Yourself" et ses riffs tantôt plus stéroïdés qu'un coureur du Tour de France, tantôt plus pesants et sombres. Et puis surtout, il y a encore et toujours cet élément presque propre à ce groupe sur ses deux premiers albums. Il est question de l'organe de Tschösi, rendant le classement vers du speed / thrash hors de question. Votre cher chroniqueur se demande comment il a pu passer à côté bien avant : ce chant est un monstrueux déferlement d'hystérie, de colère et de vomissures immondes. Le timbre oscille entre le grognement et le scream continu. Dès le morceau éponyme (encore... mon dieu, il y a tant à dire sur lui), le thrash se fait ainsi à la fois spacieux et torturé, puis mélodique et brutal. Vous aurez beau mettre avec lui Steve Harris à la basse, les guitaristes de Helloween et Lars Ulrich aux futs, "Tschösi" continuera de teinter (ou d'empoisonner) votre belle œuvre mélodique de cette haine qui lui sort par les pores.
Doit-on conclure à un excellent album de thrash, plus ou moins supérieur au précédent qui était limite death / thrash ? Malheureusement non, en fait. Car la triste décision fut prise d'attribuer à Messiah la palme d'or dans la catégorie "on ne sait pas comment meubler un album trop court" (il dure, en studio, à peu près 27 minutes). Ce qui est gênant, c'est que la face B semble présenter huit titres live, et issus de différents concerts venant de leur tournée dans l'Europe saxonne en 1987 (avec Tankard et Celtic Frost, notamment). Alors, vouloir illustrer une tournée et présenter des titres en version live, ce n'est pas un problème. Mais le faire en les plaquant sur un disque avec plus de titres, c'est un peu inutile. Une cassette audio ou vidéo aurait bien mieux fais l'affaire (il existait des groupes avec juste des démos et ils réussissaient à sortir une cassette vidéo), et le label Chainsaw Murder y aurait trouvé son compte. D'autant plus qu'à l'époque, Hard Rock Magazine pointait la différence flagrante entre le son en studio et celui en live. Et effectivement, si des titres comme "Thrashing Madness" et "Messiah" sont plaisants à écouter dans un concert violent, les riffs ont un mal de chien à se faire entendre tant les prises sont miteuses. On aurait presque préféré un EP live et que les morceaux "Olé Perversus" et "Last Inferno", de bonne facture, soient inclus dans l'album.
Complètement supplanté par Coroner et malgré le fourvoiement de Celtic Frost, Messiah mettra trois ans avant de se remettre en selle et de sortir un bon album de death metal. Le bien nommé Choirs of Horrors fut en effet remarqué, tandis que Samael sortait son sombre Worship Him. Mais en ces temps où le death était justement en train d'être embouteillé, et le black metal encore aux préparatifs de son complot pour torpiller le premier, Messiah disparut. Mais il reste cette symbiose entre un peu de mélodie, de rythmes speed et de violence à tomber. Tout comme Dead Brain Cells, Infernäl Mäjesty, Sacrifice ou encore Poison, ce trio suisse est à redécouvrir parmis les albums thrash qui marchèrent un peu, et puis plus rien. Et ça, c'est un conseil que Hard Force donna et celui-ci en vaut vraiment la peine. Et puis tant pis si vous ne retrouvez pas le dentifrice et la brosse à dents : il reste cette grandeur, et ce vent glacé, frais.