1993, la scène death a trouvé ses leaders, s’est bien posée, a étalé son influence. Certains avaient même déjà commencé à expérimenter depuis un moment (on pensera à Nocturnus et ses fameux The Key et Thresholds, premiers albums de death à comprendre un clavier). Mais personne n’avait vu venir Paul Masdival et ses sbires, qui, armés de leur seul talent, marquèrent la scène par un opus resté culte, et quasiment inégalé aujourd’hui encore.
Mais quels éléments font de Focus le monolithe qu’il est ? L’esprit déjà. Chuck Schuldiner (paix à son âme) avait déjà compris que la course à la brutalité que se livraient divers groupes de la scène (Suffocation, Deeds Of Flesh…) était vaine et ne mènerait nulle part. Son Human, qui comportait les lignes de basse de Steve Digiorgio cherchait à faire évoluer le death vers quelque chose de plus cérébral. La sortie d’Individual Thought Pattern la même année que Focus permettra d’avoir deux visions de cette intellectualisation du genre. Deux chef-d’œuvres partageant le même bassiste, et pourtant tellement de différences. On connaît déjà ITP et son côté totalement aérien, voire psychique (ou alors je vous encourage fortement à vous reporter à la chronique de cet album, et de le faire tourner en boucle, par la même occasion).
Focus se démarque également par son côté aérien et atmosphérique. Le son est cristallin. La production des guitares tirant fortement sur les aigües accentue ce ressenti. Ici, les lignes de basse, ont été composées par Steve DiGiorgio qui exprime pleinement son potentiel à la fretless avec des lignes rondes et chaudes, loin des simples volées de double-croches qui se contentent de suivre les guitares. Les fans d’Atheist apprécieront. Son instrument dispose d’une place confortable dans le mix, initiant une tradition que reprendront joyeusement les Obscura et autres formations du même tenant. La musique, lumineuse au possible, tire très fortement sur le jazz, avec des envolées acoustiques typiques ("Uroboric Forms", avec ce passage aussi planant qu’éclatant de beauté ; "Textures", instrumentale totalement hallucinée, qui donnera son nom au groupe de metal prog djentisé).
Les solis également valent le détour, avec des déflagrations psychédéliques multicolores, semblables à ce que la pochette représente. Chaque titre ou presque dévoile une de ces petites merveilles de mélodie et de feeling, le pic étant atteint sur ceux, multiples, de "How Could I". D’ailleurs, voilà également un gimmick du death technique, que l’on retrouve également dans Individual Thought Patterns : le dernier morceau qui met à l’amende le reste de l’album. "The Philosopher" et "How Could I". Deux conclusions similaires : un long solo en fade-out que l’on aimerait voir s’étirer à l’infini tant on sent que le feeling ne semble jamais pouvoir se tarir chez les géniteurs de ces perles. Un clavecin (assez mal figuré par un synthé, mais qui a tout de même son petit charme) s’adjoint aux six-cordes aurorales et célestes pour délecter l’auditeur de ce qui est encore l’un des meilleurs titres de metal extrême.
Etonnant de maturité et de génie par un premier album presque parfait, les petits jeunes de Cynic finiront d’entrer dans la légende en splittant tout de suite après, laissant leur album orphelin, jusqu’à il y a peu. Pour tous ceux qui sont lassés du death bas du front, ce trop court album est le remède parfait, et ses 35 minutes passent comme 5 secondes. A vrai dire, il est tellement varié qu’il est susceptible de plaire à des personnes n’aimant pas le death à la base, et c’est un signe qui ne trompe pas. Alors que Death ouvrait en 1993 la voie aux plans classiques dans le death metal, Cynic, lui, permettait l’incursion du jazz. Et en bon pionniers, ils avaient plusieurs années d’avance sur la concurrence.