-Bonjour, je voudrais une livre de brutal death.
-Bonjour Monsieur, une livre de brutal death, voilà. Monsieur désire autre chose ?
-Et de l’électro ? Vous avez de l’électro ?
-Electro ? Oui, Monsieur. Nous en avons, bien sûr.
-Ah bon ? C’est marrant, cette petite boutique ne paie pas de mine… et du thrash, vous en avez ??
-Du thrash, oui Monsieur. Nous avons du thrash.
-Pas possible… Et du saxo ? Des chœurs arabes ? Des incantantions tribales fakes ? Une voix-off ? Ne me dites pas que vous en avez aussi…
-Si, si, Monsieur. Tenez, voilà. Et puis ça, ce sont des samples et un petit hidden-track, comme cadeau de la maison, parce que vous êtes un bon client, ça nous fait plaisir !
Non, il ne s’agit pas d’un remake de Hassan Cehef, célèbre sketch des Nuls. Il s’agit du dernier album de The Monolith Deathcult, Tetragrammaton.
Déjà sur Triumvirate, leur précédent travail, le quintette hollandais s’était avéré facétieux, mais là, c’est le bouquet (le pompon, le comble quoi). Et pourtant, nos petits chenapans commencent doucement, l’air de rien, on pourrait les imaginer sifflotant, l’air faussement détaché : "Gods Amongst Insects" donne dans le gros death bien ample, à la violence plus latente que vraiment déclarée et quelques arrangements symphos à la Dimmu Borgir (ou Fleshgod Apocalypse) bien sentis. Growls ultra-graves, comme il sied au genre, grosse efficacité : l’auditeur baisse sa garde, et il a tort, car ensuite Tetragrammaton prend une tournure beaucoup, mais alors beaucoup, moins prévisible. Mis à part quelques très surprenants coups de sifflets (et pourtant non, pas match de foot ni de carnaval brésilien au programme), il n’y a rien d’extrêmement novateur dans l’arsenal utilisé par nos artistes. Ce qui est en revanche assez peu commun, ce sont les multiples changements de registre que nous offre l’opus. Ainsi, on passe d’un "Human Wave Attack", sorte de version deathisée de ce que pouvait proposer Ministry au bon temps de Psalm 69 (les saxos à la Pan-Thy-Monium en plus) à un tourbillonant "Drugs, Thugs and Machetes", espèce de gloubiboulga electro/brutal-death agrémenté de chœurs parfois tribaux, parfois arabisants, et même d’un extrait du discours de Martin Luther King... L’auditeur n’est pas encore saisi de vertige ? Pas de problème, TMDC a tout prévu ! "Todesnacht von Stammheim", chanté dans la langue de Goethe (ou de Rammstein, au choix), fait à nouveau une incursion dans l’univers du metal electro-indus, de manière plus posée cette fois, et propose pour l’occasion un refrain redoutablement accrocheur.
La tête commence à tourner sérieusement, mais nos Hollandais n’en ont que faire et s’attachent à nous faire perdre tout repère spatio-temporel : "Supreme Avantgarde Death Metal" (titre forcément ironique) propose en effet du protodeath thrashishant, servi par d’excellents chœurs, nous faisant remonter ainsi à la lointaine époque des premières œuvres de Sepultura, Sodom et consorts, où la sauvagerie métallique ne distinguait pas le thrash du death. Seuls les quelques arrangements symphos nous rappellent que nous sommes au vingt-et-unième siècle. Le puissant "Qasr Al-Nihayan" clôt finalement l’affaire (le dernier titre "Aslimu!!!" ne présentant guère d’intérêt) avec des riffs que l’on croirait empruntés à Fear Factory, la dimension orientale en plus. C’est un peu éprouvé que l’auditeur achève son voyage musical batave et s’il ne peut être qu’épaté devant le déploiement d’une telle exubérance et cette puissance de feu totalement contrôlée, un doute devrait néanmoins l’assaillir : tous ces enchaînements surprenants, mettant sérieusement en péril l’unité de l’œuvre, tous ces petits détails dérangeants et véritablement incongrus… ils ne seraient pas en train de se foutre de notre gueule, les saloupiots ? Le contraste très saisissant entre la solennité des voix off et des sujets abordés (quelques grands conflits historiques), et les touches plus « gaguesques » semble indiquer tout au moins un grand sens de l’auto-dérision, auto-dérision confirmée par le hidden-track (assez bien trouvé, il faut le reconnaître). De plus, Tetragrammaton dégage une certaine froideur, qui pourrait également être interprétée comme un certain recul des créateurs avec leur œuvre… Beaucoup de groupes donnent dans le barré ou le loufoque, mais en général il y a un fil conducteur, en revanche là… Bref, le doute est permis.
« Who are you ? Who ARE yooouuu ? » demandait Laura Palmer à son violeur récurrent. Nous sommes en droit de poser la même question à ce groupe qui viole notre conduit auditif de manière insistante. Qui êtes-vous, membres du culte de la mort monolithique ? Des métalleux visionnaires poursuivant un dessein incompris des masses ? Des agents infiltrés des partis politiques religieux essayant de semer le trouble dans l’esprit des hérétiques que nous sommes ? Des admirateurs secrets de Louis de Funès ? Seuls eux savent ce qu’il en est. Du coup, Tetragrammaton nous place dans la position d’un homme au physique disgracieux, soudainement abordé par une demoiselle étonnamment aguicheuse. Deux options s’offrent à lui : ou bien rester sur ses gardes, voire appeler la police, ou bien profiter de l’aubaine sans trop se soucier de son portefeuille qui devrait disparaître ou tout au moins s’amincir. J’ai choisi la seconde option (on ne se refait pas...). Et vous ?