CHRONIQUE PAR ...
Amdor
Cette chronique a été mise en ligne le 01 juin 2021
Sa note :
17/20
LINE UP
-Ashe O'Hara
(chant)
-Alce Kahney
(guitare)
-James Monteith
(guitare)
-Amos Williams
(basse)
-Jamie Postones
(batterie)
TRACKLIST
1) Of Matter - Proxy
2) Of Matter - Retrospect
3) Of Matter - Resist
4) Of Mind - Nocturne
5) Of Mind - Exile
6) Of Reality - Eclipse
7) Of Reality - Palingenesis
8) Of Reality - Calabi-Yau
9) Of Energy - Singularity
10) Of Energy - Embers
DISCOGRAPHIE
Pour beaucoup, le djent était condamné à un succès à court terme seulement, ainsi qu’à une richesse bien limitée, mais, proposant une approche bien différente de celle de leurs congénères, les Anglais de Tesseract, qui faisaient pourtant partie des précurseurs de cette jeune scène, se sont bien vite posés en marge de l’effet de mode suscité, cherchant à affirmer coûte que coûte leur originalité rôdée au fil des ans. Car il faut bien le rappeler, si Altered State n’est en effet que le deuxième album du combo, sa création effective remonte bel et bien à 2003 ! On aura alors beau parler de jeunôts en se référant à eux (et on n’aurait pas forcément tort), il est indéniable que leur style et leur identité ont bien eu le temps de s’affirmer, lentement certes, mais sûrement, pour faire d’eux ce qu’il sont aujourd'hui : une des références du metal prog moderne.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas le genre pratiqué ici, nous sommes en présence de ce qu’on pourrait qualifier de djent atmosphérique, comme si le djent classique se voyait gratifié de toute la finesse dont il a tendance à manquer. Là où polyrythmies et mesures asymétriques sont la fin pour beaucoup, Tesseract n’emploie les riffs aux structures alambiquées que comme moyen, un support de l’ambiance qui se développe tout autour, ambiance aérienne, aseptisée mais chaude et teintée de mélancolie. Cette formule n’a pas fondamentalement changé depuis One, mais comme le fruit de l’expérience qui commence doucement à s’accumuler, le groupe a su tirer le meilleur de ses précédents essais en mettant de côtés les aspects sur lesquels ont pouvait encore émettre quelques réserves, dussent-ils pour cela prendre le risque de perdre un pan de leur auditoire. Un point incarnera la majeure partie de cette évolution amorcée par les britanniques : le chant. Qu’elle semble instable cette position de frontman de Tesseract !
En effet, si les instrumentistes n’ont pas changé depuis 2006, on ne peut pas en dire autant des chanteurs qui font plutôt figure d’intérimaires/stagiaires au sein de la bande, quittant le navire avant même qu’on ait pu retenir un visage ou un nom. A vrai dire, Ashe O’Hara dont il est question ici n’est ni plus ni moins que le cinquième chanteur de la formation. Sur le papier, ce nouveau venu à de quoi faire grincer des temps : il signe la fin pure et simple du chant crié au profit d’un chant clair haut perché quasi féminin, allant plus loin dans le genre que ses prédécesseurs dont les performances n’atteignaient déjà pas des summums de virilité. On pouvait craindre le pire de l’arrivée de cette touche vaguement émo dans la tambouille, et pourtant le résultat parle de lui-même : une fois passée l’aigreur du trve metalhead, on retrouvera bien peu de chose à redire à propos de la performance vocale, parfaitement cohérente avec l’univers déployé. Le groupe tire profit de ce nouvel élément, donnant plus d’importance aux harmonies vocales qui confèrent à l’album une sensibilité, une accroche mélodique encore relativement sous-exploitée jusqu‘alors par la musique du combo.
Attention toutefois, pas question de parler d’un aspect pop racoleur, Tesseract reste assez peu accessible sur les premières écoutes, d’autant plus que les pistes de ce Altered State ne sont pas toujours dissociables, plusieurs ne formant parfois en réalité qu’une seule et même chanson d’une durée non négligeable et rendant l’assimilation d’une partie des compositions plus longue et difficile qu’il ne semble dans un premier temps. L’auditeur aura, en outre, pour tâche au fil des écoutes de démêler les différentes couches superposées dont est constitué l’album pour mieux les apprécier : les différentes voix, les mélodies cristallines et atmosphériques des guitares ainsi que le noyau dur rythmique - faisant preuve d’un groove qui ne trouve que peu de rivaux dans le genre (avec comme meilleurs exemples des morceaux comme "Singularity" ou "Nocturne") – sont autant d’atouts que le groupe a réussi à harmoniser parfaitement et qu’il faut cerner avant de se targuer d’avoir fait le tour de l’affaire.
Mais avons-nous bien tout mentionné ? A vrai dire, il y a bien un petit invité surprise dont il n’a pas encore été question mais qui mérite bien qu’il soit au moins évoqué : le saxophone. Il serait facile de vouloir taxer le groupe de « suiveur », cédant à l’appel de ce nouveau gimmick du metal, passé d’une utilisation relativement confidentielle dans des sphères plus expérimentales à celle de nouvel instrument phare en seulement quelques années, mais ce serait oublier que Tesseract avait déjà intégré cet instrument à une de leurs démos il y a de cela quelques années, avant la prise d’ampleur du phénomène. A nouveau, difficile d’imaginer sur le papier cet élément s’intégrer à l’univers plutôt dépouillé de Tesseract sans foutre en l’air son fragile équilibre, mais son utilisation ponctuelle (plus précisément sur "Calabi-Yau" et "Embers") apporte un feeling rafraîchissant là où on ne l’attendait pas et s’avère être une franche réussite, ouvrant peut-être la voie à de nouveaux essais.
Tesseract est bel et bien à part sur la scène djent et Altered State en est une nouvelle preuve, s’élevant un ton au-dessus des autres. Avec une approche du genre plus fine que celle d’une bonne partie de leurs concurrents, ils passent outre les reproches inhérents à ce jeune style et confirment de belle manière leur position actuelle d’incontournables. N’allons pas parler pompeusement d’« album de la maturité » aujourd’hui, Tesseract semble déjà avoir atteint la maturité depuis quelques temps. Contentons-nous juste d’espérer pouvoir être les témoins d’une poursuite de carrière qui s’annonce d’ores et déjà des plus brillantes. Alors certes les réfractaires au premier opus ne devraient pas être beaucoup plus convaincus par celui-ci mais à tous les autres, ruez-vous : c’est de la bonne came !