Ah les fêtes foraines ! Qu’est-ce que j’aimais ça ! Les barbapapas, les pommes avec du sucre rouge autour, et puis les auto-tamponneuses, le tir à la carabine, les pèches miraculeuses, tout ça. On rigolait bien avec les amis. Mais le truc qui vraiment me fascinait, c’était le train-fantôme. Avec mon imagination de gosse, le moindre vieux monstre en plastique pas cher se transformait en horrible créature infernale. Pareil pour le bruitage : chaque son, qu’il soit créé à partir d’un clavier Bontempi de troisième zone ou par le forain lui-même imitant le cri du loup-garou le soir au fond des bois, faisait mouche. Eh bien vous ne pouvez pas vous imaginer comme je suis content ! Une bande-son de mon enfance ! J’en rêvais, des Allemands l’ont fait…
Parce qu’ils sont bien Allemands, non ? Cette musique on ne peut plus imagée… et ces refrains un peu pompiers, mais tellement efficaces… Ce sont forcément des… attends, ah ben non ! Vérification faite, il s’agit d’un quintette norvégien, fondé autour du leader dont le nom de scène est justement Gothminister, ça tombe bien. Les gars n’en sont pas à leur coup d’essai, puisqu’Utopia est leur cinquième album et ça se sent. Pratiquant un metal théâtral fortement gothique et pas mal indus snon plus, Gothminister a tout du combo de vétérans, connaissant son affaire sur le bout des doigts. Les Scandinaves n’ont pas l’air de détester le metal plus classique, puisque quelques enchaînements semblent dénoter une certaine affinité du groupe pour le power metal (à la fin de "Nightmare", par exemple). Mais apparemment, leur truc, leur grand truc même, c’est la mise en scène. Non seulement quatre des treize titres d’Utopia sont des intermèdes d’horreur à la Scoubidou, mais en plus les artistes ont pondu un film, une « bande visuelle » quoi, d’une heure et demie en support de leur travail musical. Pas besoin d’ajouter que le contenu du film tient plus du grand-guignol zombiesque que du film intimiste à la Rohmer.
Bien franchement, tout cet apparat sonne un peu cheap et ne présentera d’intérêt que pour les inconditionnels des films d’horreur de série B des années 80. En revanche, quand les artistes arrêtent de faire du théâtre et se mettent à jouer pour de bon, la qualité de l’ensemble remonte carrément. Oh bien sûr, pas de révélation ici, pas de chef-d’œuvre non plus, mais Utopia dans sa version musicale propose, outre les bons refrains évoqué précédemment, du riff de qualité, des claviers en mode « symphonique » assez bien employés et une certaine variété qui fait de l’œuvre des Norvégiens un album plutôt plaisant, si l’on excepte l’horrible chanson éponyme "Utopia" où Gothminister se perd dans du sous Sisters frelaté. Pour le reste, le très enlevé et un peu rammsteinien "Raise the Dead" est peut-être le meilleur morceau de l’album, même si "Nightmare" et ses alternances de metal symphonique percutant et de passages à la Sisters of Mercy cette fois bien employés est quasiment du même niveau. La plus ambient "All Alone", où Gothminister (le monsieur) joue un peu à Marilyn Manson, dans un registre vocal plus grave est également séduisante, tandis que "Boogeyman", hymne « plus-teuton-tu-meurs », clôt de manière assez satisfaisante, un album qui aurait quand même gagné à être plus simple.
Le côté film d’horreur à (tout) petit budget du dernier album de Gothminister peu amuser ou agacer, selon l’humeur et/ou le profil de l’auditeur, mais l’essentiel, à mon avis, n’est pas là. Oubliez un moment Creepshow ou Jason 12. Faites comme dans Scoubidou et enlevez le masque de monstre au méchant directeur du parc thématique (qui voulait faire fuir les gens pour se consacrer à ses expériences maléfiques), puis fermez les yeux et concentrez vous sur la mu-sique, parce qu’Utopia est, musicalement parlant, un album très correct, proposant un mélange efficace de rythmiques plombées et de mélodies typiques du metal gothico-symphonico-industriel. Grâce à un savoir-faire évident, les Norvégiens ont pu pondre une œuvre qui tient la route, à défaut d’être géniale.