J'ai fait la connaissance de Defeater via leur précédente branlée, le très bon Empty Days & Sleepless Nights. J'y avais découvert un jeune combo qui avait clairement tout compris au hardcore new-school. Furibard sans jamais tomber dans le n'importe quoi, direct mais tout aussi technique et capable de finesse, adepte d'ambiances construites et bien souvent mélancoliques, totalement libéré du carcan si codifié du hardcore classique, constamment à fleur de peau sans jamais tomber dans l'emo, mis à part sur une peu malheureuse piste finale par trop adolescente à mon goût. Mais dans l'ensemble, c'était un fameux sans faute. Aussi, il était inconcevable que je ne vous fasse pas partager mon sentiment sur la dernière sortie des américains, Letters Home.
Autant le dire d'entrée, Defeater n'a pas changé sa recette d'un iota, toujours plus éloignée du hardcore old school (alors qu'ils sont de Boston : hérésie!) : aucune structure typique du genre n'apparait en effet sur l'album (exception faite d'un "Hopeless Again" légèrement plus traditionnelle, et encore), ni les couplets énervés poum-tac poum-tac, ni les refrains mid-tempo gueulés le poing en l'air et ré-haussés de chœurs, ni les moshparts, rien de tout ça. Les patterns de batterie (le batteur a changé mais il est tout aussi excellent que son prédécesseur et possède un large champ d'expression) rappellent nettement plus le mathcore ( "Blood In My Eyes"), le rock alternatif, le postcore et autres styles un peu plus proggy de la scène, bref vraiment tout sauf ce bon vieux HxC ! On pense forcément aux compères de Have Heart, de Versus, des excellents et très prometteurs Counterparts (chro de l'avant-dernier
ici, chro du petit nouveau à venir prochainement), ou encore aux autres gros noms de la scène modern hardcore à fleur de peau, Touche Amore ou Suis La Lune. Si on est pas allergique à cette mouture très acérée mais tout aussi mélodieuse et pleine d'émotions, on ne pourra qu'apprécier la cohérence de l'effort de Deafeater, qui poursuit le chemin débuté avec
Travels et
Empty Days & Sleepless Nights. Le chant est toujours aussi déchiré, détruit, hargneux certes, mais peut-être plus plaintif et désespéré encore (bel exemple sur "No Saviour" ou "Rabbit Foot").
La grande réussite de cet album, à notre sens, est d'avoir su garder l'aspect catchy et direct des compos tout en conservant cette complexité et ce petit côté expérimental (de nombreux tempo, de nombreuses approches différentes sont ici abordées). L'exemple type est le morceau d'ouverture, "Bastards", un vrai tube modern hardcore au vu de son refrain punchy en diable, qui vous chope en 2 secondes et ne quittera guère votre tête pendant un petit moment. "No Shame" est du même calibre avec sa structure simple , ses riffs directs et sa rythmique martiale. Bref, le chant se pose toujours à merveille sur l'ensemble (l'ami Derek possède un talent certain pour ce qui est de placer ses lignes de chant), l'efficacité est là, l'émotion aussi, que demander de plus ? Ben peut-être un peu plus justement, un peu plus de violence, de folie, ou alors de calme, enfin quelque chose qui distingue un peu ce Letters Home des deux précédents, tout aussi excellents mais tout aussi similaires. On n'ira jamais reprocher à un groupe d'avoir une identité forte et une direction cohérente, mais on se plait à imaginer ce que ça pourrait donner si les bostoniens faisaient légèrement évoluer la formule, avec peut-être un peu moins de concision dans le propos par exemple. Car niveau durée, là non plus Defeater ne dérive guère de sa route. Trente grosses minutes, c'est tout.
En conclusion, un album de Defeater purement dans son cahier des charges. Du coup c'est génial pour les fans, d'autant que la pièce acoustique bien gnangnan de fin d'album sur Empty Days a cette fois-ci été remplacée par une track bien progressive et massive des plus désespérées et épiques ("Bleed Out", réussite). Pour les autres par contre, si vous n'avez jamais aimé, n'essayez même pas, cet album vous saoulera en moins de temps qu'il n'en faudrait à un ouvrier bulgare alcoolique (pléonasme?) en goguette pour saouler une personne asiatique atteinte de nanisme et n'ayant jamais bu une goutte d'alcool de sa vie. Ici on continuera à suivre les bostoniens avec attention car ils sont devenus, c'est très clair désormais, une valeur sûre de la scène.