Metal et classique : les faux-frères ennemis, soit-disant, d'après certains, les opposés sur une mystérieuse échelle de la musique. C'est simple : dites aux gens que vous aimez en part égal l'un et l'autre, et ils vous regarderons éberlués comme si vous leur aviez annoncé que vous aimez manger votre camembert avec du Nutella. Pourtant, preuve en a été faite depuis longtemps que la puissance de l'un peut aisément s'allier avec l'énergie de l'autre, les groupes de metal s'étant essayé régulièrement ou ponctuellement à l'exercice sont légions. Et le résultat de ce mélange, s'il peut parfois être sublime, peut aussi donner une chose mal dégrossie et prétentieuse. Dans toute famille nombreuse, il y a un vilain petit canard ayant hérité de toutes les tares cumulées des parents...
Bingo : c'est ici que ça se passe. La pochette et le nom de l'album tente de nous faire croire que nous assistons ici plus qu'à la rencontre entre le classique (Beauty) et le metal (Beast), mais en plus à celle de deux poids lourds du rock/heavy, à savoir Tarja Turunen (la Beauty, ex-Nightwish et divers projets solo) et Mike Terrana (la Beast/Beat, batteur mercenaire ayant joué avec entre autres Malmsteen, Artension, Rage, mais aussi sur certains albums solo de Tarja), dont tout le projet tourne autour d'eux et de la thématique d'une rencontre tripartite : Tarja, Mike et quelques compositeurs illustres de la musique classique (CD1) et rock (CD2). Voila : nous aurons droit à des thèmes classiques réarrangés et à quelques reprises de chansons cultes de l'histoire du rock, plus quelques compositions revisitées de Tarja. Oui, dit comme ça, on peut se dire que ça va être chouette. Après tout, la qualité des musiciens impliqués n'est plus à prouver, mais surtout le projet est en fait une réelle tournée ayant eu lieu en 2013 sur seize dates : nous sommes donc ici en présence d'un enregistrement live, donnant à la chose un charme tout de même plus séduisant qu'un bête arrangement studio. Cela sauve t'il la donne ? Pas vraiment.
Penchons-nous d'abord sur le CD1, consacré à la musique classique. Les grands courants sont représentés : l'ère baroque avec Bach, la période classique avec Mozart, le romantisme avec Strauss ou Dvorak et des compositeurs plus contemporains comme Bernstein. Le choix des œuvres n'est pas vraiment risqué, même si les poids lourds vus et revus sont évités ("5e" de Beethoven, "Marche Turque"...) et que certains choix sont, ma foi, plutôt intelligents (le célèbre "Cancan" d'Offenbach ou le "Barbier de Seville"). Par contre, l'arnaque est totale : sur TOUT ce CD, nous n'aurons jamais droit à Tarja et Mike ensemble. Beauty & The Beat ? Non, Beauty OR The Beat. Un coup c'est une œuvre lyrique sur laquelle Tarja pousse la chansonnette, et la suivante c'est une pièce instrumentale sur laquelle Mike vient frapper les fûts. C'est toute la promesse du concept qui s'effondre comme un soufflé mal cuit. Du coup, aucune surprise : l'exercice perd de sa superbe et malgré quelques choix d’œuvres audacieux, tout cela est parfaitement convenu. Et puis, soyons francs : si la belle voix de Soprano de Tarja colle parfaitement au registre choisi, la frappe de Mike, ici pas subtile pour un sou, est déjà moins convaincante – pourtant, il avait su avec brio jouer sur l'album de Victor Smolsky, Majesty & Passion, qui reprenait du Bach. Comme quoi... Sans rentrer plus loin dans l'analyse d’œuvre, la déception est de mise : aucun réel arrangement, Mike se contente d'un travail minimal d'écriture sans ambition pendant que Tarja, certes à l'aise et talentueuse, se contente d'une interprétation convenue et légèrement fade.
S'en sortiront-ils mieux sur le CD2 ? La moitié des titres sont des morceaux de Tarja issus de ses différents projets solo (My Winter Storm, entre autre) et sont simplement réarrangés pour être joués par un orchestre symphonique, ce qui, au final, ne change pas drastiquement les morceaux. Rien qui ne saurait être vraiment surprenant, Tarja est plus que jamais dans son élément, et l'accompagnement de Mike Terrana à la batterie aurait pu être effectué par n'importe qui tant rien ne brille vraiment. La jolie "I Walk Alone" (inspirée, d'après ses compositeurs, du requiem de Mozart) passe parfaitement bien, même si depuis que Jorn Lande en a fait une surpuissante reprise il est difficile de ne pas la préférer à l'originale... Et d'ailleurs, ces reprises ? L'amusante "Fly Me To The Moon", qui voit Mike prendre le micro et Tarja les baguettes est chouette à regarder sur les vidéos live, l'homme faisant le pitre, mais sur CD, on perd pas mal du potentiel comique et léger de la situation, Tarja se contentant de tapoter sur le charley pendant que Mike, ma foi, s'en sort plutôt bien en crooner. Reste l'horrible reprise de Queen où le piano délicat est remplacé par des chœurs et où la voix lisse de Tarja ne parvient pas à faire oublier les touchantes intonations de Freddy Mercury et, pour finir, un medley de Led Zeppelin parvenant – enfin ! - à procurer une émotion autre que l'ennui à l'auditeur. Non que cela soit extraordinaire, mais les violons langoureux de l'orchestre collent parfaitement avec les compositions du groupe légendaire.
Concluons : non, ce double CD ne parvient quasiment jamais à mélanger avec efficacité rock et classique. Mike et Tarja s'amusent bien, cela se sent. Mais il manque à ce premier CD un crucial travail de réécriture pour ne pas se contenter de plaquer des parties de batteries sur une œuvre classique (The Beat) ou de la réciter avec brio mais sans ambition (The Beauty), et surtout une efficace réunion des deux ne pas avoir l'impression d'assister à deux exercices différents et incompatibles... Le 2e CD, plus prévisible mais finalement plus efficace, reste bien trop faible et ennuyeux pour rattraper l'ensemble, qui du coup sombre dans le convenu et le mou. L'intention était bonne mais la réalisation à côté de la plaque...