Avec cet album de Porcupine Tree qui voit l’arrivée de Gavin Harrison à la batterie, on est en droit de se poser plusieurs questions : comment ce p’tit nouveau s’intègre-t-il au groupe ? Le « virage metal » amorcé par les progueux est-il réussi, ou a-t-il plus des airs de mixture de gentil apprenti sorcier qui veut jouer les méchants ? Du fait de l’apparition de cette dimension plus « metal » - rien de furieux non plus – la musique perd-elle de sa cohérence ou y trouve-t-elle du même coup un souffle et un matériau musical nouveaux, aptes à exprimer ce que Wilson nous livre ici ?
Metolz ou pas, il faut reconnaître que ça commence fort. Les toutes premières notes de "Blackest Eyes", accrochent une oreille ravie de découvrir le riff ravageur qui les suit. On sent ainsi, dès les premières mesures, que non seulement le jeu de Gavin Harrison s’intègre bien aux autres parties, mais aussi qu’il apporte une force de frappe toute nouvelle chez Porcupine Tree. Le bonhomme possède un arsenal technique solide - les fils de "Blackest Eyes" -, une palette de nuances variée – "Sound of Muzak" -, et surtout un groove tout en retenue – "The Creator Has a Mastertape" -, soucieux de souligner la dynamique plutôt que de l’écraser sous un éboulis de quadruples croches. "Blackest Eyes" est d’ailleurs programmatique de la suite de l’album, quoique les autres titres ne soient pas aussi efficaces : un vent rétro venu de la folk sixties, une touche de metal, des ambiances parfois inquiétantes, toujours planantes, qui prennent ce qui leur faut de temps pour s’installer, voilà ce qui ressort d’une première écoute d’In Absentia.
C’est ici que vous vous dites : « donc cet album, il est comme les autres de Porcupine Tree, avec un peu metal en garniture en plus, là, sur le bord de l’assiette, en fait ». Oh que non, petits fous que vous êtes ! Si le chroniqueur a la vilaine tendance de considérer un album comme une addition d’ingrédients passés à la moulinette, il ne le fait que pour offrir au lecteur des repères clairs pour l’écoute. Il en va tout autrement quand il s’agit de sonder le processus de composition ; impossible, alors, de considérer un album de la sorte : on manquerait ce qui constitue la pâte même d’In Absentia. Il est tentant de dire de ce disque qu’il s’inscrit dans la continuité des autres réalisations de Porcupine Tree, avec des riffs metal en plus, répartis çà et là de façon timide. Emballé, c’est pesé. C’est tentant parce que cela permettrait d’esquiver le vrai problème que pose cet album. Mais on n’intègre pas impunément du « metal » au rock prog, genre narratif par excellence, sans devoir, précisément, repenser la cohérence narrative de l’ensemble.
Ainsi, la variation sur le thème de "Trains", enrichi et "alourdi" au fil du morceau, donne à ce titre une vraie singularité, et s’apprécie pleinement quand on s’attarde sur les paroles. De même, la partie de batterie au groove sec et nerveux, sur le début de "Sound of Muzak", fait son petit effet après la fin magnifique de "Lips of Ashes", titre qui ne s’appréciera qu’au fil des écoutes. L’arrivée du riff metal sur la fin de "Gravity Eyelids" prend sans heurt la place d’une ambiance post rock énigmatique en clair obscur ; et "Wedding Nails" seule justifie, avec "Blackest Eyes", l’achat de l’album. C’est d’ailleurs ce titre qui traduit le mieux la réussite du mélange des styles et qui fait sentir une dynamique inédite de composition. L’enchaînement de "The Creator has a Mastertape", titre au rythme soutenu et jumpy, assuré par une batterie très solide, et de "Heartattack in a Lay-by", est également bien pensé.
Il y a bien sûr quelques faiblesse qui justifient la note attribuée à In Absentia : "Prodigal", qui n’apporte pas grand chose à l’ensemble, non pas parce qu’elle est en grande partie instrumentale - "Wedding Nails" l’est aussi, mais elle se défend bien mieux – mais parce qu’elle ne décolle pas véritablement. On notera également que "3." et "Strip The Soul" s’ouvrent sur presque le même riff de basse : même tempo, même tonalité, mêmes notes… Est-ce là un discret procédé visant à donner sa cohérence à l’album, ou une redite (in)consciente ? Et il y a bien entendu "Collapse the Light into Earth"… Que l’on peut essayer de sauver en se disant : « Oui, elle est archi gnan gnan, mais c’est Du Porcupine Tree, alors ça peut pas être mauvais ». Le fait est que ce n’est pas « mauvais » , mais que l’on peut trouver mieux pour clore un album qu’une dose aussi massive de mièvrerie.
Amateurs de rock prog/post rock (certains passages le sont clairement) un peu énervé, jetez-vous sur In Absentia. Vous y trouverez des atmosphères pêle-mêle mélancoliques, étranges, toujours surprenantes de contrastes. Si ce n’est pas un immense album, c’en est du moins un vers lequel on prend plaisir à revenir, qui a toujours quelque chose de nouveau à nous faire entendre.