Aborym compte - et a compté - en son sein quelques pivots emblématiques de la scène black metal tels que Faust (Emperor, Scum), Attila Csihar (Mayhem) et Prime Evil (Mysticum, pionnier de la scène black metal indus dans les années 1990, avec un seul album à son actif, In The Streams Of Inferno) ; pas forcément que des figures de proue, sauf Attila Csihar qui a officié sur le légendaire album de Mayhem, De Mysteriis Dom Sathanas, mais Faust compte pour un des plus talentueux batteurs du genre et Mysticum est reconnu pour son avant-gardisme surprenant dans un milieu parfois assez passéiste.
Le groupe transalpin, que l'on pourrait presque qualifier de super-groupe, n'en est pas à son coup d'essai : après With No Human Intervention (2002), voici ce très surprenant Generator, qui revient, après les expérimentations parfois jusqu'au-boutistes du précédent album, sur le terrain d'un black indus moins avant-gardiste, mais tout aussi, voire plus efficace. La présence de Faust, en tant que membre désormais permanent du groupe italien, a manifestement réfréné ses envies de partouze musicale pour accoucher de l'essence même de leur style, très atypique : un black froid et metallique, aux prétentions avant-gardistes assumées, mâtiné d'un soupçon de death et de samples indus assez imposants. Les éléments électroniques sont toujours aussi présents , mais les prétentions de mariage technoïde de With No Human Intervention ont été particulièrement revues à la baisse.
Le résultat est véritablement sympathique : imaginez la férocité d'un Anthems To The Welkin At Dusk et les ambiances opiacées de Grand Declaration Of War, vous obtenez ce Generator pas piqué des vers. A vrai dire, ce disque apporte une petite bouffée d'air vicié au genre black metal. Le chant de Prime Evil est à peine retouché (vous croyez ?), mais il fait mouche. Les samples et les claviers sont omniprésents, tels que ces symphonies inquiétantes sur "Armageddon" (Introduction d'une noirceur abyssale) et "Disgust And Rage", ce fameux break techno sorti de nulle part ("Between The Devil And Deep Blue Sea", blasts en avant toute), les samples indus inquisiteurs et soli dégénérés de "Ruinrama Kolossal S.P.Q.R", la citation presque obligatoire de Charles Manson ("Suffer Catalyst"), mais Aborym n'en oublie pas la rage et la puissance, portées à bouts de bras par une production à l'arôme subtil (pour du black, entendons-nous), à mi-chemin entre la froideur lointaine et la clarté. Les Transalpins se permettent même quelques incartades death ("Suffer Catalyst") et des soli (oui, oui !) dont Darkthrone lui-même n'aurait même jamais pensé.
Bref, de l'inventivité dans un style de moins en moins en pilotage automatique ces derniers temps (Borknagar, Lunar Aurora, Deathspell Omega), ça ne peut être que bénéfique, n'est-ce pas ? Sauf qu'Aborym, finalement, n'a rien inventé. Il recycle les avancées musicales de ses prédécesseurs, mais il le fait au moins d'une façon très intelligente. Les spectres de Celtic Frost, de Mysticum et de Dodheimsgard (l'autre groupe - en sommeil - du second cerveau de Darkthrone, Fenriz) planent ainsi le long de ce Generator, toutefois aménagé de façon à épouser les prétentions souvent surréalistes et l'imagination quelque peu débordante de ses géniteurs : en somme, un gigantesque tire-slip aux conventions. Les clichés misanthropiques et pseudo-satanistes sont ici de rigueur - la sombre pochette, empruntée à Fritz Lang, ne me fera pas mentir - mais on ne leur en tiendra pas, justement rigueur, tant le résultat de cet intense brainstorming recèle un piquant tout ce qu'il y a de plus transalpin, dont on finit par accepter qu'il n'est, en fin de compte, qu'une très intéressante variation, parfois très originale, parfois lourdingue (l'album est un bloc tout ce qu'il y a de plus compact), de ses illustres influences. A essayer, ne serait-ce que pour élargir son champ de vision.