Angra -
Temple Of Shadows (2)
Le coup du blind-test ne rate jamais. Après m'être procuré cet album je l'ai fait écouter en aveugle à un ami, angraphile parmi les angraphiles, celui-là même qui pense que j'ai sous-noté Fireworks. Et quand je lui ai demandé son avis sur ce CD (après trois titres), sa réponse a claqué : « ben ouais, encore un bon vieux groupe de speed mélodique de plus, quoi ». Le jugement était tombé. Et quand je lui ai révélé qu'il s'agissait du dernier Angra, son regard s'est chargé d'une douloureuse déception doublée d'incrédulité.
Nous avons passé les minutes suivantes à nous lamenter sur ce groupe, à évoquer les moments extrêmes qu'il nous avait offerts, et l'hideuse déception qu'était cet album qui sonnait comme n'importe quel autre groupe du genre. Depuis, j'ai écouté cet album un nombre incalculable de fois. Et si mon jugement s'est quelque peu adouci, je suis toujours déçu. Ca s'appelle un processus de deuil: le deuil d'un groupe dont j'ai cru qu'il serait le plus grand du monde dans sa catégorie, et qui est aujourd'hui un petit groupe sympa. Comme dit un autre ami à moi amateur de litotes: « ça picote quand même un peu ».
Il reste à Angra une qualité qu'il serait vraiment injuste de passer sous silence: ce groupe possède une paire de guitaristes qui restera probablement dans l'histoire du métal. Au même titre que les couples légendaires Smith-Murray ou Tipton-Downing, le couple Loureiro-Bittencourt a redéfini les standards des guitaristes de heavy. Les soli de Loureiro restent des modèles de technique et de beauté, la rythmique de Bittencourt est en acier trempé, et quand ils partent en shred à deux ça me provoque toujours ce petit picotement là, en bas, et ce petit fourmillement, ici, au fond. Si ce n'est qu'aucun plan de guitare dans Temple Of Shadows ne parvient à supplanter ou à égaler ce que le groupe sortait dans sa première ère... Seul le début de "Temple Of Hate" nous replonge dans les bonnes années Fireworks et leurs cascades de notes. Et pour le reste... Et bien, oups. Dans ce même titre, les deux guitaristes se commettent dans des plans néoclassiques complètement plats et sans saveur, indignes d'eux. Et ce titre featuring Kai Hansen himself fait très titre à invité. Très direct, très metaaaaaal!!!! dans l'esprit. Il me fait penser à "Pride" sur l'album de Shaman dans l'esprit, en moins bien. Car les prouesses guitaristiques tombent en partie à plat (branlette...), et que le duo Hansen-Falaschi est tout simplement moins percutant que le duo Matos-Sammet.
Le chant d'Edu Falaschi est ce qui saute le plus aux oreilles: lui aussi, comme Andre Matos dans Shaman, a cédé à l'appel de l'école Tobias Sammet. A savoir vibrato énorme, et chant beaucoup plus agressif. Mais si Matos s'était mis à sonner sérieusement comme son copain, dans le cas d'Edu ça tourne à la caricature. Il en perd carrément toute identité! Parfois on croit que Sammet est un invité permanent sur ce disque. Et en plus, sur les passages calmes et graves, comme sur le début de "Wishing Well" ou sur "Shadow Hunter", il sonne comme... Andre Matos! Aaaargh!! On ne s'en sort pas. Le petit Edu a acquis l'aura d'un chanteur très doué et technique, mais il est encore loin d'être un grand chanteur tout court. La même remarque vaut pour le batteur Aquiles Priester: il est très rapide, très technique, et bénéfice d'un son de grosse caisse que Confessori n'a jamais pu avoir lors de ses années Angra. Mais il n'est JAMAIS inventif. Il est clichesque. La maîtrise technique n'est pas tout...
Je ne vais pas décortiquer cet album, Count D l'a très bien fait dans sa chronique enthousiaste. Je n'évoquerai que les points qui m'ont marqué. Par exemple, qu'il apparaît aujourd'hui que Matos était aussi un claviériste inspiré, car les parties de claviers de Temple Of Shadows sont tout sauf impérissables. Que les parties à la guitare classique sont sympas, mais ne suffisent pas à apporter au groupe une identité aussi forte qu'à l'ère de ses trois premiers albums. Qu'Edu devient insupportable quand il veut absolument forcer dans les hyperaigus, comme sur la fin de "Shadow Hunter". On peut également noter l'arrivée du prog dans la musique d'Angra. Le début de "Angels And Demons" sonne très Dream Theater, et les choeurs à la Spock's Beard sont une nouvelle caractéristique. Mais justement, Angra fait du prog à la manière de, et dilue encore un peu plus son identité. C'est triste... Même "Winds Of Destination", le titre avec Hansi Kürsch (pour les cancres du fond, je rappelle que cet homme est une incarnation de Dieu sur Terre), se refuse à améliorer la qualité globale d'un album désespérément moyen: le pont mélodique est convenu, le break au piano bon sans plus.
Bon, je me dois d'être honnête avec vous: si cet album était sorti sous un autre nom, je lui aurais sûrement mis une meilleure note. Mais je ne tolère pas, je ne tolèrerai jamais qu'Angra sonne comme n'importe quel autre groupe de power-speed. L'identité du groupe a disparu, car un album d'Angra était reconnaissable au bout de trois secondes d'écoutes. Pas celui-là. Cet album n'est pas mauvais: il reste "Spread Your Fire", titre speed très entraînant et à la mélodie en béton. Il reste "No Pain For The Dead" et son ambiance contemplative douce et chaude par moments. Deux-trois moments, çà et là, m'ont permis au court de mes multiples écoutes de vibrer, très brièvement. Je n'avais jamais autant écouté et réécouté un album avant de le chroniquer, et le jugement est définitif: Angra est mort. Il reste un groupe sympatoche, pas méchant pour deux sous, mais qui aujourd'hui ne mérite plus son nom. Ah, parfois la vie est dure...